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il se coupait la parole à lui-même par des Hein ! Comment ! (What ! What ! ) dont l’effet comique était, paraît-il, irrésistible.

Il avait été élevé durement par sa mère, la princesse de Galles. Un jour que le petit duc de Gloucester, frère du futur roi d’Angleterre, rêvait dans un coin d’un air sombre, la princesse lui demanda à quoi il pensait ; le petit garçon répondit : « Je pense que, quand je serai grand, si j’ai des enfans, je tacherai qu’ils ne soient pas aussi malheureux que nous l’avons été avec vous. » Tandis que les jeunes princes s’évadaient par-dessus les murs, faisaient, à quinze ans, la cour aux laitières et aux femmes de chambre, George acceptait religieusement le dogme de l’autorité. Il réalisait parfaitement ce type bien connu des professeurs, le studieux inintelligent, qui apprend sans comprendre. Il aimait la peinture, la musique, le théâtre. On jouait beaucoup la comédie à Leicester House : George prenait sa part dans ce divertissement, mais à sa façon. Son bonheur était de déclamer les vers sonores et vides du Caton d’Addison. Quant à Shakspeare, c’était « de la drogue (sad stuff) » — « On le pense, disait-il plus tard à miss Burney, mais on n’ose pas eu convenir. » Il était tout petit lorsque le vieux Hamdel, le voyant intéressé par son jeu, lui dit : « Quand vous serez roi, vous prendrez soin de ma musique, n’est-ce pas ? » L’enfant n’oublia jamais ce mot, s’en fit un devoir de conscience, une religion artistique qu’il observa jusqu’au bout. Un des plus beaux jours de sa vie fut celui où il chanta avec Mozart pour accompagnateur.

Sur le trône, il « encouragea » les artistes et les écrivains, distribua quelques pensions et beaucoup de conseils. Il dédaignait Reynolds, mais il protégeait West qui faisait du grand art avec de petits moyens, qui était bon chrétien et honnête homme. Il lui indiquait des sujets classiques : « Faites-moi un Regulus, » et il lui lisait une page de Tite-Live pour l’exciter à la besogne. Il donna audience au docteur Johnson. « Sa Majesté me posa, dit le docteur, une foule de questions qui m’embarrassaient fort. Heureusement, Elle répondit à toutes. » Notez cette curiosité étourdie et maladroite qui soulève à la fois vingt problèmes dont elle ignore les difficultés et dont elle croit entrevoir les solutions avant ceux qui ont qualité pour les découvrir : George III est là tout entier.

Ce pauvre homme se mit en tête de restaurer la prérogative royale, de ressusciter à son profit l’absolutisme des Stuarts, sinon