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Tout ce qu’il faut pour réussir leur est assure. A côté d’eux les banques s’installent, les chemins de fer les précèdent, les accompagnent ou les suivent, des voies navigables parmi les plus belles qui soient au monde, sont souvent à proximité ; ils ont à leur disposition les deux grands leviers de la colonisation moderne : l’argent et les moyens de communication. Une législation libérale les défend, les protège et leur assure toutes les garanties. Aucun de ces avantages ne fut donné aux colons algériens. Les premiers arrivans, parmi eux, abordèrent dans un pays séparé par une large mer de la mère patrie. Ils vinrent s’installer dans une contrée conquise par nos armes, au milieu des populations subjuguées qui étaient au premier abord et tout naturellement peu disposées à voir d’un bon œil les envahisseurs. Ils trouvèrent un sol restreint, des terres occupées. Il fallut d’abord se faire tolérer, accepter ensuite par les indigènes, s’accommoder de leur manière de vivre. Il fallut ensuite leur acheter leurs terres dans d’amiables transactions, et, avant de les cultiver, les assainir. Pour ce labeur, ils ne durent compter que sur eux, tirer tout d’eux-mêmes. Ils n’eurent d’autres ressources financières que leur fortune personnelle. Ils durent défendre leurs domaines, douze ans durant, les armes à la main. L’administration les combattit sans trêve ni merci.

Les seuls immigrans qu’on puisse rapprocher des colons algériens, sont ces hardis pionniers qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, défrichèrent les environs de Québec et de Montréal, furent soldats en même temps que laboureurs, se mêlèrent si bien aux peuples conquis qu’il en naquit une race de métis, et malgré le joug d’une administration déjà oppressive, fondèrent une nouvelle patrie outre-mer ; et ceux-ci sont encore des Français. Canadiens et Algériens ont été de dignes émules et de dignes rivaux, et ont montré à travers les âges les mêmes qualités de race et la même vertu.

La ruine des colons libres fut pour la France un malheur irréparable. Eux dispersés, l’administration voulut se charger elle-même de la colonisation. Nous verrons si l’État avec toutes les ressources dont il dispose, ses services organisés, les crédits illimités que lui allouait le budget métropolitain, fit mieux que les colons.


ROUIRE.