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avait sous la main auraient pu permettre d’organiser la résistance. Vingt-cinq mille hommes étaient réunis à Alger et aux environs et le territoire à défendre était, comme on sait, circonscrit dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour d’Alger. On pouvait d’ailleurs mettre à profit la bonne volonté des colons qui étaient organisés en compagnies et bataillons et celle des Arabes soumis qui ne demandaient qu’à nous rester fidèles. Accourus à Alger, aussitôt la rupture connue, les plus notables parmi les coloris avaient proposé au maréchal Valée d’organiser à eux seuls la défense du Sahel et de la Mitidja. Ils lui demandaient seulement de vouloir bien envoyer quelques pelotons d’infanterie dans les principales fermes européennes dont les solides constructions pouvaient servir de points de défense en même temps que de lieux de réunion et de points d’appui aux colons et aux Arabes fidèles. On aurait ainsi tenu la banlieue d’Alger, et les bandes errantes de l’ennemi n’auraient pu passer sans s’exposer à nos coups. Malheureusement ce plan ne fut pas agréé par le maréchal Valée qui donna pour motif à son refus qu’il ne serait pas facile aux pelotons ainsi disséminés de recevoir les rations réglementaires. En réalité, on ne voulait pas qu’il fût dit que les colons et les Arabes avaient sauvé la colonie : l’armée seule entendait garder pour elle cet honneur. L’ordre fut donné aux postes disséminés dans le Sahel et la Mitidja d’évacuer le pays et de se replier sur Alger. Ils devaient dans leur retraite ramener dans la ville, de gré ou de force, les colons, et à ceux qui résisteraient enlever leurs munitions.

Mais donner un tel ordre c’était décréter du coup la ruine de tous les établissemens européens, c’était anéantir le résultat de dix années d’efforts, réduire à la misère notre et arracher à son sol toute une population nombreuse qui s’y était ardemment attachée. À ce sol les colons y tenaient de toutes leurs entrailles ; leur passion pour cette terre était faite de toutes les fatigues qu’ils avaient supportées, de tous les déboires qu’ils avaient éprouvés, de toutes les sommes qu’ils y avaient enfouies et aussi des espoirs et des illusions qui dans leur âpre existence les avaient soutenus. Abandonner les établissemens qu’ils avaient fondés était un sacrifice trop cruel pour ces malheureux. Aux injonctions du gouverneur tous d’abord résistèrent. On ne put obtenir d’eux qu’ils abandonnassent leurs fermes : chacun déclara vouloir défendre ses foyers et sa fortune si laborieusement commencée. Il fallut employer la force et les désarmer. En dépit de tous les