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campement et dans le campement même, leur vie était également menacée. Sorti du camp pour aller travailler son champ, le colon n’était jamais sûr d’y pouvoir rentrer. Embusqué dans le maquis, la touffe de joncs ou les bois de roseaux, le féroce Hadjoute attendait, avec la patience du félin qui guette sa proie, l’imprudent colon au passage, et, aussitôt la victime à portée, s’élançait sur elle, la terrassait et lui coupait le cou, ou bien, galopant dans la plaine, piquait droit sur le cultivateur isolé et l’enlevait au vol. A dix minutes du camp était l’oued Chemâla dans le lit duquel on extrayait les pierres pour le service du génie, et l’on était obligé de donner une escorte à chaque corvée de pierres ou de graviers. Une lunette installée dans le fort fouillait constamment les environs ; dès qu’un parti de Hadjoutes était signalé à l’horizon, on tirait le canon et les cultivateurs répandus dans la plaine devaient rentrer précipitamment, n’importe en quel état fussent leurs travaux. Dans leur campement, c’étaient mêmes alertes, mêmes alarmes. Le plan de Boufarik avait été tracé avec des proportions démesurées. Les gourbis des hommes étaient disposés sur une étendue de 124 hectares et, pour se rendre visite, les colons devaient monter à cheval ; dans ces conditions, malgré sa proximité ; le fort ne pouvait les protéger que d’une manière insuffisante, et les brigands Hadjoutes, qui connaissaient cette particularité, faisaient irruption dans le camp à la tombée du jour et s’en donnaient à cumr joie. « Chaque nuit, dit le colonel Trumelet, a ses tueries, ses vols, ses incendies ; le repos est troublé par les détonations et les éclairs des armes à feu ; les colons ayant des habitations trop éloignées les unes des autres ne peuvent se prêter mutuellement un prompt et efficace secours. Les troupes font bien des patrouilles, mais l’étendue du périmètre où doit s’exercer leur surveillance est trop vaste et leur action est peu efficace. On est constamment sur le qui-vive. Les nuits sont sans sommeil comme les jours sont sans repos. » Bloqués presque journellement dans leurs retranchemens, les colons ne peuvent s’occuper ni d’agriculture ni de colonisation ; ils sont plutôt soldats que colons. Chaque jour la générale les appelle aux armes. Une mesure du gouvernement général motivée par les dures nécessités du moment ne tarda pas d’ailleurs à les militariser. Le 22 mars 1836, un arrêté appela au service de la garde nationale tous les Européens domiciliés en Algérie. Le 24 du même mois eut lieu la formation d’un bataillon dont Boufarik fournit une compagnie.