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l’extrême limite des établissemens européens vers le sud. Mais ces postes n’arrêtèrent guère les incursions des Hadjoutes, et, à Méred et à Boufarik notamment, les colons étaient journellement harcelés. L’imprévoyante témérité de ces derniers qui les avait poussés à exploiter des fermes isolées et excentriques les laissait exposés à leurs coups. Ceux qui s’étaient fixés dans la banlieue d’Alger s’appuyaient pour leur résister sur les villas mauresques dont le genre de construction avec terrasse et ouvertures rares et grillagées permettaient une facile défense ; ceux qui s’étaient avancés en flèche dans la plaine avaient transformé leurs fermes en autant de citadelles dont les fenêtres étaient les créneaux : nuit et jour, on veillait comme dans une place assiégée. Derrière ces constructions massives que les bandits ne pouvaient forcer, les colons étaient à l’abri et pouvaient échanger des coups de fusil. Le vrai danger commençait lorsqu’il fallait en sortir pour travailler aux champs et rentrer les récoltes. Pour faire un peu de blé et de foin, il fallait risquer sa tête ; le fusil était inséparable de la pioche. Et qu’on ne croie pas que les colons libres et isolés, qui avaient voulu vivre d’une vie plus indépendante loin de la protection des camps, fussent les seules victimes de cette guerre d’embuscades et de trahisons ! Les colons qui s’étaient laissé parquer dans les points qui leur avaient été assignés étaient plus malheureux encore. Ils restaient en effet, tout comme les colons isolés, exposés aux attaques des Hadjoutes, car ces derniers, dans leur esprit simpliste, ne faisaient aucune distinction entre les colons que les autorités officielles prétendaient protéger et ceux qu’elles entendaient laisser exposés à leurs coups, et pour eux, tous les Européens étaient des Roumis qu’il fallait exterminerais étaient de plus astreints aux sujétions les plus dures, aux plus pénibles corvées et aux pires souffrances. L’histoire de Boufarik, si bien racontée par le colonel Trumelet, nous montre en ses pages douloureuses la lamentable existence de ces colons officiels.

Boufarik fut fondé en 1836 par l’administration militaire qui, ayant établi un fort dans la contrée, avait besoin de fournisseurs civils et de main-d’œuvre à proximité du nouveau poste. Les immigrans n’eurent d’abord d’autre abri que des constructions primitives, des gourbis faits de branchages, de roseaux et de paille de marais, demeures aussi intenables par les pluies de l’hiver que par les chaleurs de l’été. Dès les premiers jours, ils durent défendre leur existence les armes à la main. Hors de leur