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aux champs ou en revenaient n’en tombèrent pas moins frappés et tous furent mis dans la nécessité de jouer leur vie contre le gain d’une journée de travail. Etait-ce donc pour faire assassiner par nos soldats nos malheureux colons que nous étions venus en Afrique ? On veut se refuser à croire que de pareils ordres aient été donnés, que de pareils faits aient eu lieu ; et cependant les documens de l’époque, les témoignages des contemporains, les récits des vieux Algériens même ne peuvent laisser aucun doute sur leur réalité. Telle est la manière dont, de 1830 à 1842, l’administration officielle encouragea la colonisation !

On devine les résultats auxquels devait aboutir un pareil système : l’impunité était assurée, les malfaiteurs encouragés ; seuls pâtissaient ceux qui étaient exposés à leurs coups et qu’on traitait comme des criminels. Aussi quels beaux jours luirent alors pour tous les brigands de la Mitidja ! Parmi les tribus qui vivaient en 1830 dans cette plaine, il y en avait une plus turbulente que les autres, la tribu des Hadjoutes, qui, sous l’autorité des deys, opéraient des razzias fréquentes chez leurs voisins ; les mesures impolitiques prises par notre gouvernement à l’encontre des colons firent d’elle une troupe de brigands. Au début, les Hadjoutes n’étaient pas plus de quatre cents cavaliers, mais bientôt à eux vinrent se joindre tous les chercheurs d’aventures, tous les coupeurs de bourses des tribus à cheval, en un mot tous les coquins de la Mitidja. De 1830 à 1842, ce fut entre ces écumeurs de la plaine et nos colons une lutte sans trêve ni merci, une guerre d’extermination. Pendant douze années les vols, l’incendie, l’assassinat couvrirent la Mitidja de misères, de ruines et de sang, et c’est avec juste raison que cette période de la colonisation fut appelée la période de poudre. Admirablement montés sur leurs chevaux arabes, pleins de ruse et de flair, vigoureux et vaillans, les Hadjoutes sortaient chaque année de leurs repaires et brusquement envahissaient le Sahel et la Mitidja, inquiétant les colons et les tribus gagnées à notre cause, détruisant les récoltes et emmenant le bétail. Leur audace ne connaissait point de bornes. En 1836, ils attaquèrent les colons de Dély-Ibrahim, enlevèrent leurs troupeaux et osèrent s’aventurer jusqu’à la pointe Pescade, aux portes d’Alger. Le maréchal Clauzel dut ordonner l’occupation immédiate de tous les points stratégiques, de tous les centres de population en voie de formation, et c’est alors que furent installés les camps de la Chiffa, de Sidi-Khalifa et de l’oued-El-Alleug dans la Mitidja, à