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reproche. J’ai aperçu en venant ici le marabout de Sidi-Meurfi, ce tombeau d’un chef vénéré de votre tribu. Comment se fait-il que des gens pieux comme vous le laissent tomber en ruines ? Avant tout, il faut le restaurer. L’autorité française doit m’aider pour la construction de ma maison ; elle m’a promis de me fournir du bois ; il ne s’agit plus que de trouver la pierre à chaux. Aussitôt que nous en aurons, employons-la pour le marabout. » Tous les Arabes se regardaient avec étonnement, admirant la sagesse du roumi. La pierre à chaux fut bientôt apportée, le marabout restauré et avec l’excédent des matériaux et grâce à la main-d’œuvre qui lui fut fournie gratuitement par les indigènes reconnaissans, M. de Tonnac se fit construire son habitation. Marabout et maison ne lui avaient ainsi à peu près rien coûté et il avait gagné à la fois la confiance des gens de la tribu et des Arabes vivant plus ou moins loin dans la plaine, qui, venus pour faire leurs dévotions au marabout, s’en retournaient émerveillés de sa restauration et vantant à qui voulait les entendre la générosité du Français.

Qu’on ne croie pas qu’une fois installés et s’étant fait accepter des indigènes, nos colons aient abusé par la suite de l’influence qu’ils avaient acquise. Ils s’attachaient au contraire à respecter scrupuleusement leurs croyances, leurs mœurs et leurs droits ; ils affectaient même de prendre leurs allures, portaient leur costume, mangeaient comme eux le couscous. Dans les questions d’intérêt qu’ils avaient à débattre avec eux ils prenaient volontiers comme arbitres les cadis et les chefs religieux et s’efforçaient de gagner la confiance de ces derniers. C’est ainsi que M. de Tonnac prélevait à chaque récolte sur sa part la quantité qu’il jugeait devoir offrir au chef de la zaouia (chapelle musulmane) voisine et la faisait transporter solennellement sur des mulets au lieu de destination. Les Arabes, qui ne voulaient pas être en reste de générosité avec l’Européen, suivaient avec leurs chargemens. Le grain était alors mis dans des silos et constituait ainsi une réserve à laquelle venaient puiser, dans les années malheureuses, les pauvres cultivateurs. Ces colons de la première heure avaient compris parfaitement que le meilleur moyen de tirer du pays et de l’habitant tout ce qu’il peut raisonnablement donner, est de s’accommoder des usages pratiqués par les indigènes et de les faire servir à leur profit. Là est tout le secret de la politique qui leur permit de se faire aimer des indigènes, de les attacher à leurs intérêts et d’en