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s’épandent librement, séjournent et forment de vastes marécages qui en été se dessèchent par évaporation ; ce ne sont que flaques d’eau croupissantes, que rides suintantes, sans écoulement, bues plus ou moins par le soleil ; entre les marécages, les renflemens et les veines du sol qui les séparent, apparaissent comme autant d’îlots fourrés de maquis et de broussailles ; sur ces rendemens les pistes qui servent de sentiers deviennent à la saison des pluies chaussées boueuses, impraticables aux chevaux et aux mulets ; çà et là des branchages jetés sur la vase et comblant la mare servent de ponceaux, prolongent ces pistes et permettent à travers les fondrières une dangereuse circulation ; des miasmes pestilentiels s’exhalent de ces marais, rendent le pays inhabitable et en font une terre de mort ; c’est en vain qu’aux chaleurs de l’été on chercherait un être humain à la surface de l’immense plaine ; ses rares habitans ont tous fui dans les replis des montagnes ; tout le pays est désert. Tel est le spectacle qu’offrit aux yeux des premiers colons la partie du Tell comprise entre le Sahel et les plateaux, et notamment la plaine de la Mitidja.

Et qu’on ne croie pas cette description poussée au noir ! Tous les témoignages contemporains sont unanimes à constater l’état de désolation, de nudité du pays. Voici ce qu’écrivait un voyageur qui parcourait la contrée dans les premières années de l’occupation : « La Mitidja, disait-il, est absolument inculte : elle est couverte de marais et de marécages dissimulés par une végétation palustre extrêmement vigoureuse ; on y trouve çà et là des bouquets d’oliviers, des aloès, des figuiers de Barbarie, et dans le lit des rivières et des ravins des lauriers-roses ; c’est un maquis débroussailles serrées, épaisses, enchevêtrées, impénétrables, un fouillis d’herbes gigantesques, de pousses de fenouil au milieu desquelles on disparaît, de ronces, de genêts épineux, de palmiers nains, de joncs tapissant des fonds mouvans dans lesquels on s’envase à ne pas pouvoir s’en dépêtrer. » « La Mitidja, disait dans ses rapports le général Berthezène, n’est qu’un immense cloaque ; elle sera le tombeau de tous ceux qui oseront l’exploiter. Aucun établissement ajoutait-il, n’est possible en dehors du Sahel. » « L’infecte Mitidja, ajoutait en 1841 le général Duvivier, est un foyer de maladies et de mort, domaine des chacals et des bandits arabes. » La vérité est que le Sahel et la Mitidja étaient des terres qui comptaient douze cents ans de putréfaction pestilentielle ; qu’aucune lande, qu’aucune friche en France et peut-être en Europe, ne pouvait