Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inquiétudes. Ah ! ne les regrettez pas, ne regrettez pas de les avoir exprimées, Elles m’ont fait tant de plaisir. Je me sens le cœur plus large, plus libre. Le retard de ma lettre vous avait donné du chagrin, presque de l’angoisse. Je suis si contente ! voyez cet atroce égoïsme ! haïssez-moi bien, car je jouis vivement de vos peines quand c’est à moi qu’elles s’adressent. Nous nous sommes souvent dit que nous ne savions pas rendre tout ce qu’il y a dans notre âme. Jamais je n’ai tant senti l’insuffisance de mes paroles. Mais vous verrez quand vous m’entendrez ! De près il me semble que je serai bien éloquente. »

Et enfin, en apprenant, dix jours plus tard, qu’il était invité à Windsor, elle lui recommandait d’y penser à elle : « Pensez à moi à Windsor. Il n’y a pas un coin de ce château et de ce parc où je ne me sois pas arrêtée. Si vous avez l’appartement où il y a un salon en haute lisse faisant face au long walk, c’est le mien. Le canapé vert, à la gauche de la cheminée, dans le salon de la reine, est celui où j’ai passé tant de soirées à côté de Georges IV et de Guillaume IV. Que Windsor va vous plaire ! Mais je ne vous envie pas Ascott. Cela me faisait mourir d’ennui. »

Quelques jours après, la princesse était à Londres. Puis, avant que l’année s’achevât, l’ambassade de Guizot ayant pris lin par suite de son retour au pouvoir, elle rentrait à Paris où désormais elle allait connaître la douceur d’un beau rêve réalisé, qu’on a cru longtemps irréalisable. Maintenant, ils se voyaient tous les jours et, comme nous l’avons dit, plusieurs fois par jour. C’est chez elle que Guizot venait se reposer du tracas des affaires, chez elle qu’il donnait ses rendez-vous, chez elle aussi qu’étaient assurés de le rencontrer ceux de ses amis qui voulaient causer avec lui librement, dans l’intimité. Des survivans de cette époque, habitués de ce salon, il n’en est guère qui liaient conservé le souvenir de la maîtresse de la maison, toujours accueillante en dépit de sa grâce un peu hautaine et toujours svelte et fine dans la toilette dont elle s’était fait une habitude, une robe de velours noir ayant au corsage le chiffre des dames d’honneur de l’impératrice de Russie, un rang de perles dans les cheveux ou encore, dans les grands jours, la couronne de princesse. C’est après ce retour à Paris qu’entre elle et Guizot fut agitée la question de leur mariage[1]. Ils le désiraient l’un et

  1. Je tiens ces détails du regretté duc de Broglie qui avait connu ce projet et les motifs qui en empêchèrent la réalisation.