« En vérité en dînant chez Mme M… vous en êtes tout près. Je vous demande pardon de vous dire si vivement ce que je pense, mais je ne sais pas dire autrement quand j’éprouve de la peine. Et je suis si triste, si triste. Je ne vous1 répéterai plus : Restez ce que vous étiez, sérieux et grave. Vous n’y pensez plus. Mon ami, vous allez déchoir et vous me causez une vive peine ! Adieu, adieu. »
La mercuriale était vive, aussi vive que peu méritée. Guizot ne s’en offensa pas. Il mit même son habituelle et patiente douceur à en démontrer l’injustice. Elle lui valut de tendres regrets.
« 7 avril. — Je viens de recevoir votre lettre. Le cœur m’a faibli en l’ouvrant, et j’ai fondu en larmes en la lisant, en lisant la fin. Des larmes de tendresse, de reconnaissance. Vous êtes si doux, si bon, si indulgent, car j’avais été vive ; mais vous avez si bien compris pourquoi ! Vous avez l’esprit bien grand, bien haut, jamais votre supériorité ne m’a autant frappée qu’aujourd’hui. Vous ne savez pas tout ce que vous venez d’ajouter à ce qu’il y avait pour vous dans mon cœur. Ah ! si je pouvais vous le dire, vous le montrer, vous seriez content. »
Le 28 mai, c’est une autre note :
« Ecoutez, hier j’ai rencontré Thiers à dîner chez mon ambassadeur. En entrant dans le salon, il me dit :
« — Je viens de recevoir une dépêche télégraphique de Londres.
À ce mot télégraphe, ma figure s’illumine, elle disait : « Je suis bien contente. »
« Thiers a été mon voisin de table. Il est fort content des nouvelles de Londres, il se loue beaucoup de vous. Il dit qu’à vous deux vous faites des merveilles. Il ajoute :
« — J’arrange les affaires de façon qu’il n’y a que M. Guizot qui puisse être mon successeur.
« — Ou plutôt vous les arrangez de façon à les garder toujours pour vous ?
« — Oh ! je vous en réponds ; mais tenez, je suis jeune, je sais bien qu’une fois, je les garderai toujours. Je ne sais si cette fois-là est à présent ; c’est possible, cela n’est pas sûr ; nous verrons. Mais si M. Guizot s’ennuyait à Londres, je l’arrangerais ici.
« — Il me semble que M. Guizot s’amuse fort bien à Londres et qu’il aimera à y rester.