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Aux jours de commémoration douloureuse, aux jours anniversaires de la mort de ses (ils, deuils qu’elle porte éternellement, toujours aussi sombre que s’ils dataient de la veille, sa peine prend un caractère encore plus aigu. « J’étais réveillée à six heures, ce matin, 4 mars 1839, comme il m’arrive toujours de l’être à pareil jour. Quatre ans ! Ah ! mon Dieu, c’est hier. Et en même temps, il me semble que j’ai vécu cent ans, tant la douleur m’a usée. Et puis, il me semble qu’on m’attend et que je tarde bien ! »

Parfois aussi, de l’humeur, beaucoup d’humeur, se trahit sous sa parole. « Je suis extrêmement triste et par vous. Ah ! que nous allons mal quand nous sommes séparés. » — « Il faut convenir que vous prenez bien mal votre temps pour douter de mon cœur, pour douter que mon cœur, ma vie sont à vous, pour croire que vous ne suffisez pas à mon âme ? Où trouve-t-elle du repos, de la douceur, si ce n’est en vous ? Je suis bien accablée de mes malheurs passés, de mes peines présentes ; je le suis plus ici que lorsque j’étais auprès de vous, et cependant avec quel bonheur je pense à vous, comme je retrouve de la joie, de la sérénité dans le fond de mon âme en arrangeant le reste de ma vie pour vous, avec vous ; vous êtes bien le reste de ma vie. Si je ne vous avais pas, je n’aurais plus rien. Dites-vous cela, dites-vous que je le pense sans cesse, sans cesse, et voyez, si je ne vous aime pas plus que vous ne pouvez m’ai mer ? Car vous, vous avez du bonheur sans moi, et moi, je n’ai plus rien sans vous. » — « Je n’ai plus la plus petite envie de Versailles. Je me sens fort sotte d’en avoir jamais témoigné. Cela a l’air d’un caprice. Ah ! que j’aurais besoin d’être gouvernée ! Pourquoi ne me gouvernez-vous pas ? Rien ne me plaît que ce qui plaît à un autre. Mais l’autre il faut que je l’aime, et je n’aime pas assez M. E…, ni M. A…, ni personne. Personne… que la Normandie. Quelle belle manière d’échapper à la personnalité ! Je deviens bête, je crois même que vous le trouvez un peu. Nous nous adressons de sottes lettres, vous ne me dites rien… »

De quelle agitation intérieure témoignent ces cris et ces plaintes ! Comment s’y prendra-t-il, lui l’ami, pour verser l’apaisement dans cette âme si prompte à la crainte, à la révolte, au soupçon ? C’est ici qu’apparaît dans toute sa grandeur le dévouement d’une amitié sincère auquel celui qui l’a conçue attache des idées d’éternité. Avec quel esprit, quelle grâce, quelle