Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au commencement de 1833, une querelle éclata entre la cour de Londres et celle de Saint-Pétersbourg, à propos du remplacement de l’ambassadeur anglais qui demandait son rappel. Pour lui succéder, lord Palmerston, qui était alors ministre, proposa Canning. « C’est un homme impossible, pointilleux, défiant, lui répondit-on. Nous avons des raisons de croire à une impolitesse personnelle faite autrefois par lui au tsar, alors simple grand-duc. Nous ne voulons pas de lui et sommes décidés à ne pas le recevoir. » C’est la princesse de Liéven que le chancelier russe Nesselrode chargea de porter cette réponse à Palmerston. Le ministre anglais commença par promettre de ne pas nommer Canning. Il revint ensuite sur sa promesse, malgré les protestations de l’ambassadrice russe. La querelle s’envenima. Le tsar menaça de rappeler son ambassadeur. Effrayée par cette menace dont l’exécution aurait changé toute sa vie, la princesse partit pour Saint-Pétersbourg afin d’en conjurer les effets. Elle en revint rassurée, « toute rayonnante, nous dit Gréville, de l’accueil qui lui a été fait. L’empereur est allé au-devant d’elle par mer, l’a prise à son bord et l’a conduite dans sa voiture, au palais, où il l’a fait entrer dans la chambre de l’impératrice qu’elle a trouvée en chemise. »

Malheureusement, le conflit entre le cabinet russe et le cabinet britannique devint plus aigu. Le 30 août 1834, le prince de Liéven recevait en même temps l’ordre de revenir à Saint-Pétersbourg et l’avis de sa nomination comme gouverneur du tsarevich. « Cette lettre, dit quelque part la princesse, fit lever les mains à mon mari en signe de joie et moi de douleur. » Elle était inconsolable à la pensée de vivre à la cour de Russie, sous le joug d’un despote qu’elle savait capricieux et dur. Il fallut cependant obéir. Elle rentra à Saint-Pétersbourg. Mais elle était déjà résolue à n’y pas demeurer, à saisir la première occasion d’en partir pour aller se réinstaller à Londres. Lorsque, l’année suivante, elle réalisa son projet, le bruit courait qu’elle avait été poussée à en hâter l’exécution par les dispositions, trop bienveillantes à son gré, que depuis son retour lui témoignait l’empereur. Elle parlait, racontait-on, parce qu’il ne lui convenait pas de devenir l’Egérie de son souverain. Mais il n’existe aucune preuve de la vérité de ces dires, à moins d’admettre qu’elle faisait allusion à cet incident, lorsqu’elle écrivait : « Le maître ne m’a pas pardonné et ne me pardonnera jamais. »