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son âme nous révèle les motifs de son ennui, motifs très légitimes, très humains, dont ne se sont jamais avisés ceux qui le lui ont reproché comme un travers de caractère, alors que c’était l’effet de crises maladives, malheureusement trop fréquentes dans sa vie agitée et tourmentée. À cette heure, l’absence de Metternich était pour elle un supplice. Il avait beau lui écrire : « Je t’aime à Carlsbad comme aux pieds du Vésuve et dans les ruines de Pestum et aux Champs-Elysées, » elle ne se résignait pas à vivre loin de lui, ne se rassérénait que lorsqu’à son tour, elle lui écrivait pour protester de son amour : « A demain. Demain, je t’aimerai comme tous les autres jours de ma vie ! Mon ami, comme il m’est doux de t’aimer. C’est une si ravissante chose ! Bonne nuit, » offrant le reste du temps, à son entourage, ce visage morose, despouding, comme elle disait, où l’on s’obstinait à voir une preuve de morgue et de froideur, comme si la femme capable à trente-quatre ans, de tirer d’elle-même les accens que lui dictait l’amour, n’était pas au-dessus d’une telle accusation. N’est-ce pas au contraire parce que son cœur est toujours brûlant, toujours inassouvi, toujours martyrisé par les épreuves de la vie, qu’elle le dissimule, satisfait ou non, et ne le laisse pénétrer que par ceux qu’elle a jugés capables de la comprendre ? Tant pis pour les autres s’ils n’y savent pas lire. Leur jugement lui importe peu. Dès ce moment, elle est déjà la femme qui plus tard, beaucoup plus tard, vingt ans après, écrira à Guizot, un jour où après une séparation de quelques semaines, elle va le revoir : « Maintenant, je voudrais la tranquillité, la paix du cottage, votre amour, le mien, rien que cela. Ah ! mon ami, c’est là le vrai bonheur. Et nous n’y arriverons jamais ! »

Sa liaison avec Metternich, alors qu’elle ne possédait plus les illusions de la première jeunesse, lui donna plus de tristesses que de joies. Aux larmes que fait verser l’absence de ce qu’on chérit succédèrent les douleurs de la rupture. Je n’ai pu établir à quelle époque ni dans quelles circonstances elle survint. Il est probable que c’est en 1823, après le congrès de Vérone, où tous les deux s’étaient retrouvés. Elle leur fut sans doute imposée par l’impossibilité de se voir et de vaincre les obstacles qui les séparaient. La blessure de Mme de Liéven fut longue à guérir. Montrée à Londres, elle y reprit sa vie, si brillante en surface, si vide au fond. De nouveau, elle s’appliqua à la remplir, en se livrant avec plus d’ardeur encore qu’autrefois à ces