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d’esprit naturel, pas d’instruction, écrit de façon charmante. Caractère impérieux. Pas de beauté, mais de la dignité. »

Un compatriote de Gréville, Sir Sidney Ralph, trace de la princesse le portrait suivant : « C’est une femme grande, droite, maigre, dont l’ensemble a un charme incomparable. Sa conversation se distingue par une brièveté, une précision presque épigrammatique sans affectation, un langage net, clair, court et serré, mais à la fois aisé et gracieux, piquant et quelquefois badin, toujours le mot propre. Musicienne de premier ordre, mais ignorante des choses élémentaires à scandaliser un écolier ; elle n’aime pas la lecture. Elle sait mieux écrire que personne au monde. Elle a une terreur panique de l’ennui. Elle est au-dessus de toute fausseté, de toute petitesse. » Mêmes éloges mêlés de réserves dans les appréciations de la duchesse Decazes. « Taille plate, pas de poitrine, ses robes taillées avec beaucoup d’art cachaient une partie de sa maigreur. Son esprit était bienveillant. Mais il s’exerçait grâce à celui d’autrui dont elle savait tirer parti tout en le faisant valoir, grâce aussi à une faculté réelle de tout comprendre, de tout s’assimiler. Pleine de préjugés aristocratiques, elle était discrète et fidèle à l’amitié. Mais, elle lui demandait beaucoup. » Rappelons, pour en finir avec ces divers témoignages, celui de Guizot, qui nous confesse que dès ses premières relations avec Mme de Liéven, il fut frappé « de son esprit, de son grand air et plus tard de sa bonté. »

Sauf dans le dernier de ces jugemens, la bienveillance ne va pas, on le voit, sans quelque alliage. Bien que la part de l’admiration y soit supérieure à celle de la critique, ils ne suffisent pas à justifier une opinion définitive. Nous sommes cependant bien loin de la sortie pleine d’amertume à laquelle se livre Chateaubriand contre la princesse dans les « Mémoires d’outre-tombe. » Il ne pardonnait pas à Mme de Liéven de n’avoir pas été éblouie en le voyant à Vérone et de ne s’être pas enrôlée parmi les thuriféraires de Mme Récamier. Il se vengea en essayant de la ridiculiser et de ridiculiser du même coup Guizot, dont il ne craignit pas de révéler la liaison avec elle, tout en divulguant celle qui avait existé, vingt ans avant, entre la princesse et Metternich. Nous ne rappellerons ici que le dernier trait de sa philippique. « Les ministres et tous ceux qui désirent le devenir sont fiers d’être protégés par une dame qui a eu l’honneur de voir. M. de Metternich aux heures où le grand homme pour se délasser du