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LA
PRINCESSE DE LIÉVEN[1]

Quiconque s’est occupé d’histoire contemporaine connaît le nom de la princesse de Liéven. Mais bien peu de personnes connaissent sa vie, ou tout au moins les dessous de sa vie. Parmi les femmes de la première moitié de ce siècle dont on a le plus parlé, il n’en est pas qui ait, autant qu’elle, fourni matière à des jugemens contradictoires et par conséquent peu susceptibles de nous donner de sa vraie nature une idée précise et juste.

L’Anglais Charles Gréville qui la fréquenta, quand elle était ambassadrice de Russie à Londres, nous apprend, dans son journal, qu’elle est « extraordinairement intelligente, d’une finesse extrême, sait être charmante quand elle veut s’en donner la peine. Rien n’égale la grâce et l’aisance de sa conversation pailletée des pointes les plus délicates. Ses lettres sont des chefs-d’œuvre. » Il ajoute, il est vrai, « qu’elle est profondément blasée et dévorée par l’ennui. » Talleyrand, qui la connut en Angleterre après 1830, n’est pas moins louangeur dans ses mémoires que Charles Gréville, mais avec des réserves analogues : « Beaucoup

  1. D’après des publications contemporaines et sa correspondance inédite avec Guizot. Je dois à une bienveillance qui m’honore infiniment communication de ces précieux papiers formés de plusieurs centaines de lettres toutes plus attachantes les unes que les autres tant en raison de leur intérêt historique que par ce qu’elles nous laissent voir de l’âme de leurs auteurs. En m’ouvrant ce parterre enchanté, on m’a demandé de n’y cueillir que quelques fleurs, les héritiers de Guizot se réservant de publier un jour tout ce qui dans les écrits inédits de leur aïeul peut aider à grandir sa mémoire. Cette restriction si aisée à comprendre n’enlève rien à la gratitude dont je suis pénétré. Mais elle explique la discrétion et la réserve avec lesquelles j’ai touché à ces reliques sacrées et pourquoi des volumineux dossiers qui les contiennent j’ai tiré si peu.