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mots. Pour le français, Scheler avait extrait et même accru, — mais avec bien des additions irréfléchies, — les résultats de Diez dans un dictionnaire spécial, et Grandgagnage, disciple quelque peu aventureux du maître, avait étudié beaucoup de mots communs au wallon et au français. Enfin, quand la publication de Littré était en cours, Brachet avait publié son Dictionnaire étymologique, habile et ingénieux résumé qui avait l’apparence plus que la réalité d’une application rigoureuse de la méthode phonétique. Littré profita de tous ces secours, mais en critique et non en simple compilateur. Dans ses remarques étymologiques, appuyées sur l’ « Historique » et sur la comparaison des autres parlers français ou romans, il pèse avec soin les diverses explications proposées, en propose quelquefois de nouvelles, donne les raisons qui guident son choix, et reconnaît souvent qu’on ne peut se prononcer avec sûreté. Enregistrant pour la première fois un très grand nombre de mots difficiles, il n’en essaie pas toujours, mais il en essaie souvent l’étymologie. Ces recherches sont faites avec une certaine méthode, mais sans la rigueur qu’on y apporte aujourd’hui, sans même toute la rigueur qu’on aurait pu dès lors y apporter.

Les lois de l’évolution phonétique n’étaient pas alors considérées comme inflexibles. Diez lui-même, qui les avait posées, admet sans cesse, soit dans sa grammaire, soit dans son dictionnaire, des exceptions qu’il n’essaie pas de justifier. Littré n’alla pas plus loin : « La régularité, dit-il, est grande, et prime les exceptions. » Et il énumère, pour le français, un certain nombre d’« habitudes ou règles » que les mots suivent « en général » dans leurs transformations. Dans les articles même — comme l’a déjà montré l’exemple du mot image — les lois de l’évolution phonétique sont trop souvent méconnues ou admises sans contrôle réel : il lui suffit qu’il semble exister pour un groupe phonétique une permutation analogue à celle que demande l’étymologie proposée pour qu’il regarde cette permutation comme légitime, tandis que très souvent elle est due, dans le mot pris pour « témoin », à une cause toute particulière, ou ne s’est pas produite à la même époque qu’elle l’aurait fait dans le mot qu’il étudie. De là vient, — et d’autres causes encore, — que la partie étymologique de Littré, — bien qu’elle marquât un immense progrès sur tout ce qui avait été essayé en France, — est aujourd’hui en grande partie surannée : la philologie romane,