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de grandes pertes le glacis en avant de la crête, puis, arrivée au ruisseau qui coule devant la position turque, elle est arrêtée par le feu et ne peut aller plus loin.

La seconde vague est alors lancée. L’impulsion donnée par le 7e régiment fait gagner un peu de terrain (200 à 250 pas) et l’on atteint le milieu du glacis remontant vers l’ennemi. Nouvel arrêt. Des hommes commencent à s’égrener vers l’arrière.

Skobeleff appelle sa troisième vague, le 6e régiment d’abord, puis les deux bataillons de chasseurs, et l’on avance encore. On arrive presque au bord du fossé des redoutes, mais l’impulsion est encore insuffisante. Il n’y a plus de troupes pour en donner une nouvelle. Les troupes d’attaque n’étaient pas assez nombreuses pour former la quatrième vague qui eût été nécessaire, et le désastre est imminent. Mais à ce moment, un autre facteur intervient, l’impulsion morale du chef ! Skobeleff se lance en avant de ses troupes ; son cheval tombe, le cavalier se relève et saute dans la redoute entraînant ses hommes aux cris de « hourra ! ! »

Aussitôt il fait venir son artillerie sur la position conquise. Les soldats qui la défendaient accueillaient les pièces avec des cris de joie, car les Turcs contre-attaquaient. Les assaillans, reçus par des feux de mousqueterie et d’artillerie, furent arrêtés à 150 sagènes (300 mètres), puis se mirent en retraite.

Voilà donc une attaque faite dans des conditions extrêmement difficiles, une attaque de front dans toute la rigueur de l’expression, une attaque enveloppée sur ses flancs, qui a réussi grâce à l’abandon du procédé de l’attaque en masse, grâce surtout au dévouement des soldats pour leur chef qu’ils suivent aveuglément jusqu’à la mort.

Dans la tactique issue de la discipline coercitive, il est admis que les troupes formant bloc peuvent tout renverser devant elles, si elles sont énergiquement commandées. Quelles que soient leurs pertes, il restera toujours assez d’hommes debout pour chasser l’ennemi, disent les partisans de l’automatisme. Les officiers qui n’ont pas vu le feu sont enclins à cette erreur, parce qu’ils ne se rendent pas compte des dépressions morales que produit sur le champ de bataille la prolongation de la lutte. Les hommes ou les fractions placés en arrière doivent, disent-ils, pousser les hommes ou la fraction en avant. Mais où donc et à quelle époque a-t-on jamais vu semblable fait ?

Les fractions qui viennent de l’arrière apportent avec elles