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prédécesseurs ; mais on ne doit en général les utiliser qu’avec réserve. Dans le même ordre d’idées il faut citer le grand dictionnaire français-allemand de Sachs-Villatte, qui n’est pas irréprochable au point de vue de la critique, mais qui contient plus de mots qu’aucun autre : il est journellement complété par des listes de néologismes que des Gymnasiallehrer dressent avec une patience imperturbable, d’après les produits les plus hétérogènes de notre littérature courante et impriment dans divers recueils allemands. Ces inventaires, où tout est enregistré pôle-môle, contribueront à faciliter la tâche de celui qui, un jour ou l’autre, essaiera de former un « trésor » de tous les mots, bons ou mauvais, employés par les écrivains français[1].


IV

Une ère nouvelle a été ouverte par le Dictionnaire de Littré, qui commença à paraître en 1863 et fut terminé, y compris le Supplément, en dix années. L’auteur résume ainsi dans sa préface l’idée génératrice de cette œuvre monumentale : « Je dirai, définissant ce dictionnaire, qu’il embrasse et combine l’usage présent de la langue et son usage passé, afin de donner à l’usage la plénitude et la sûreté qu’il comporte. » et il explique comment cette idée lui a été suggérée par ses études d’ancien français, études qu’il avait abordées, un peu au hasard, à l’occasion du livre paradoxal de Génin sur les Variations de la langue française, et auxquelles il avait pris goût : « Je fus si frappé, dit-il, des, liens qui unissent le français moderne au français ancien, j’aperçus tant de cas où les sens et les locutions du jour ne s’expliquent que par les sens et les locutions d’autrefois, tant d’exemples où la forme des mots n’est pas intelligible sans les formes qui ont précédé, qu’il me sembla que la doctrine et même l’usage de la langue restent mal assis s’ils ne reposent sur leur base antique. » C’était donc surtout pour « asseoir l’usage moderne sur l’usage antique, » lui donner une base solide et une raison d’être historique, que Littré avait entrepris le travail qui occupa trente ans de sa vie. L’idée était-elle juste ? Puisque

  1. Pour notre siècle aussi, il est juste de mentionner les dictionnaires encyclopédiques, le Larousse et le Nouveau Larousse, le Dictionnaire des Dictionnaires, qui est encore plus nettement lexicographique, et la Grande Encyclopédie : dans tous, on trouve des mots et des sens nouveaux.