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ici : prenant l’œuvre dans son ensemble, je voudrais simplement en esquisser les caractères les plus généraux.

Pour le choix des mots et des sens, l’Académie proclame dans sa préface le principe qu’elle a suivi : elle a entendu « se retrancher à la langue commune, telle qu’elle est dans la conversation des honnêtes gens et telle que les orateurs et les poètes l’emploient, ce qui comprend tout ce qui peut servir à la noblesse et à l’élégance du discours. » Elle aurait donc laissé de côté les termes des arts et des sciences, qui ne sont pas « de la langue commune des honnêtes gens, » et les mots qui manquent « de noblesse et d’élégance. » Mais, fort heureusement, elle ne s’en tint pas à ce programme. Dans le premier ordre d’idées, le Dictionnaire de 1694 est, en effet, assez exclusif, et il est intéressant de voir, en parcourant les éditions successives, la langue technique et scientifique pénétrer de plus en plus dans la langue commune. Mais, au second point de vue, l’Académie n’adopta pas, comme on aurait pu le croire d’après la préface, les idées strictes des puristes. Elle admit beaucoup plus de mots que n’en acceptaient les raffinés[1] ; seulement elle en désigna un assez grand nombre comme « vieux » ou comme « bas, » indiquant ainsi que, tout en faisant partie de la langue courante, ils n’appartenaient pas au style choisi. Ces désignations, qui ont été maintenues par la suite, mais dont l’attribution avarié, sont fort précieuses pour l’histoire de la langue littéraire. On voit des mots qui, au XVIIe siècle, étaient considérés comme « vieillissans » ou même « vieux », perdre ces qualificatifs et être considérés comme de plein usage, justifiant ainsi le mot célèbre d’Horace ; en revanche beaucoup de ces mêmes mots disparaissent plus ou moins tôt : ils ont si bien vieilli qu’ils sont morts. Des mots qualifiés de « bas, » de « populaires, » ou simplement de « familiers » sont aussi, avec le temps, débarrassés de ce stigmate ; il est beaucoup plus rare que l’inverse se produise, la tendance de la littérature française ayant été, surtout depuis un siècle, d’ouvrir de plus en plus largement ses portes à tous les mots de la langue. Les notations dont il s’agit n’en subsistent pas moins, pour un nombre considérable de termes et d’emplois, dans la dernière édition, et subsisteront dans la prochaine. Elles sont

  1. Cette tolérance souleva naturellement des protestations : on alla jusqu’à publier un Dictionnaire des Halles, « tiré du Dictionnaire de l’Académie. » Mézeray au contraire, Furetière et d’autres reprochaient à l’Académie sa timidité.