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I

Le premier dictionnaire français-latin qui ne se rattache pas à la tradition du moyen âge est celui de Robert Estienne (1539). L’œuvre est très méritoire. Le français n’y est pas encore considéré en lui-même : il sert simplement à apprendre le latin pour l’écrire, et l’auteur, qui avait publié, huit ans auparavant, un dictionnaire latin-français, a composé, au moins en bonne partie, sa nouvelle œuvre en intervertissant les deux élémens de la première. Mais il l’a fait avec goût et intelligence : il a enregistré, le premier, beaucoup de mots de la langue vivante, et surtout un grand nombre d’idiotismes et de locutions familières qu’il voulait donner le moyen de tourner élégamment en latin. Son dictionnaire a servi de base à ceux qui l’ont suivi et notamment à ceux de Thierry et de Nicot, au XVIe siècle, de Monet et de Poiney, au XVIIe ; il faut noter à part celui de Nicot, esprit en tout original et novateur : ici la traduction latine n’est plus que l’accessoire ; c’est bien le français que l’auteur a pris à tâche de faire connaître. Il ajoute à la liste déjà dressée un grand nombre de mots qu’il a recueillis dans ses lectures ou ses entretiens ; il recherche les vieux mots et les mots de province ; il donne des étymologies, des explications souvent longues et curieuses ; il entre dans la voie des dictionnaires encyclopédiques.

Au XVIe siècle encore commencent les dictionnaires français avec traduction en langue étrangère ; ils se multiplient au XVIIe : on en a fait pour les Anglais, les Allemands, les Hollandais, les Danois, les Italiens, les Espagnols, etc. Rédigés par des Français ou par des étrangers, ces dictionnaires ont ce caractère nouveau que le français y est, non plus le moyen, mais le but : ils ne sont pas destinés aux Français qui veulent apprendre une langue étrangère et sont censés connaître les mots de la leur ; ils sont compilés pour les gens qui, ne parlant pas naturellement le français, veulent l’apprendre. Cela amène les auteurs à recueillir les mots en plus grande abondance et à noter bien des détails que négligeaient leurs prédécesseurs. Aussi ces dictionnaires sont-ils presque tous fort utiles à notre connaissance de la langue de leur temps ; le plus précieux est celui de l’Anglais Cotgrave, véritable trésor de la langue du XVIe siècle, auxiliaire indispensable à qui veut lire les auteurs de cette époque.