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particulier, ont laissé apercevoir cette préoccupation, — à la comparaison qu’il est impossible de ne pas faire entre la Triple Alliance d’une part et la Double Alliance de l’autre. Assurément, la première est toujours très solide ; tout le monde est convaincu qu’elle sera renouvelée ; personne ne met en doute son efficacité. Et néanmoins, les choses humaines étant soumises à une évolution continuelle qui ne leur permet jamais de rester les mêmes et qui les condamne à croître sans cesse ou à décroître, fût-ce de quantités presque impondérables, lorsqu’on part de ce point de vue pour considérer les alliances européennes, on est amené à constater que, si l’une évolue, ce n’est pas dans le sens de l’accroissement, tandis que l’autre est encore dans cette période heureuse où elle se développe et s’affermit, sans qu’aucun craquement s’y fasse entendre, sans qu’aucune diminution y apparaisse. On a dit avec raison que les deux systèmes d’alliance se tenaient mutuellement en équilibre, ce qui était reconnaître l’utilité du second : lorsqu’il n’existait pas, la paix de l’Europe était livrée sans contrepoids à une volonté très intelligente sans doute, mais toute puissante, et il y avait là un incontestable danger. L’équilibre est tel que nul aujourd’hui ne saurait avoir la pensée de le rompre. Il n’en est pas moins vrai qu’un travail intérieur se fait dans la Triple Alliance, et qu’il ne tend pas à la fortifier : elle est d’ailleurs assez forte, et le sera assez longtemps, pour suffire largement aux besoins auxquels elle s’applique. Malgré tout, la presse autrichienne et même la presse italienne se sont livrées à des impressions un peu chagrines. La première a dit qu’en présence de l’alliance franco-russe toujours inébranlable, il était urgent de resserrer les biens qui unissent les trois autres puissances. La seconde a dit que la Triple Alliance devait sans doute être maintenue, mais qu’il fallait la développer de manière à établir un équilibre nouveau dont on chercherait les élémens hors d’Europe. L’une a manifesté très discrètement quelques préoccupations, et l’autre un certain malaise. Mais il n’y a, en tout cela, que des nuances, et, si nous en parlons, c’est pour rester un chroniqueur fidèle et complet. Au fond, la confiance dans le maintien de la paix est générale. Les journaux anglais, auxquels la situation extra-continentale de leur pays donne parfois un jugement plus sûr, ne doutent pas un instant qu’il ne faille voir dans l’alliance franco-russe une garantie de plus contre des complications qui pourraient amener la guerre : mais avons-nous besoin ; de dire que l’intimité persistante et croissante entre Saint-Pétersbourg et Paris n’est pas tout à fait de leur goût ? Ils ne s’en sont pas moins exprimés avec une grande convenance sur le voyage du tsar en France.