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blique qui, dit-on, ne demanderait pas mieux de le faire, a la bonne fortune d’en rencontrer une nouvelle et peut-être la meilleure de toutes.

On se demandait s’il en profiterait. Un journal officieux a expliqué que cela n’était pas possible, et la raison qu’il en a donnée est que l’empereur de Russie pourrait s’en formaliser. En lisant cela, on éprouve comme un choc, tant l’observation est imprévue : qu’importe à l’empereur de Russie que quelques exilés rentrent en ce moment chez eux ? Nous aurions cru que la chose lui était indifférente. Mais le journal ministériel explique qu’en venant en France précisément aujourd’hui, l’Empereur a eu l’intention expresse de donner son adhésion à la forme actuelle de notre gouvernement, à celle-là et non pas à une autre : en conséquence, il ne comprendrait pas que l’on profitât de sa présence pour gracier des hommes dont le crime est d’avoir voulu la changer. Voilà donc l’empereur autocrate de toutes les Russies converti en tuteur de notre Constitution, et aussi, bien entendu, des hommes qui en assurent aujourd’hui le fonctionnement ! Nous ne pouvons plus toucher à nos lois constitutionnelles ; nous ne pouvons pas changer notre ministère ; nous ne pouvons pas même gracier une poignée de malheureux ! S’il en était ainsi, l’alliance russe, malgré tous ses mérites, nous coûterait bien cher, puisqu’elle nous priverait de notre indépendance intérieure : mais, grâce à Dieu ! cette conception de l’alliance et des obligations qu’elle nous impose n’est venue à l’esprit que de quelques ministériels forcenés. L’Empereur ménage mieux notre dignité que ne le font parfois nos propres partis. La France n’est à ses yeux qu’une personne internationale : c’est à ce titre qu’il a traité avec elle, sans se préoccuper du gouvernement qu’il lui avait plu de se donner, ni des hommes politiques entre les mains desquels ce gouvernement était provisoirement tombé. Aussi longtemps que la France restera fidèle à ses engagemens envers lui, et qu’elle aura d’ailleurs une force militaire qui lui permette de les tenir jusqu’au bout, il ne se préoccupera pas d’autre chose : et il n’a pas le droit de se préoccuper d’autre chose. C’est à nous et non pas à lui qu’il appartient de faire et de défaire nos gouvernemens. Nous lui savons gré de ne s’être même pas demandé quel était en ce moment celui de la France, et de n’avoir vu que la France elle-même. On ne fera croire à personne que notre ministère ait pour lui un attrait particulier, et nous ne pensons pas que, même après l’avoir vu de près, il en constitue un pareil à Saint-Pétersbourg. Si demain nous en avons un autre, il sera pour celui de demain ce qu’il est pour celui d’aujourd’hui, et ce qu’il était pour celui d’hier,