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l’étranger, on en avait adroitement profité pour exprimer des doutes sur la parfaite solidité de l’alliance. On se demandait si elle avait conservé le même caractère d’intimité et de confiance réciproques. Ceux qui étaient au courant du véritable état des relations franco-russes n’éprouvaient à cet égard aucune inquiétude ; mais ils étaient naturellement une petite minorité, et, en dehors d’eux, les autres ne savaient qu’en penser. On ne saurait d’ailleurs oublier que, chez nous, l’alliance russe n’est pas seulement une combinaison politique, froidement élaborée et conclue par des diplomates à vues profondes, mais encore un contrat qui a été ratifié par l’enthousiasme populaire ; et cela exige de certains ménagemens. Un trop long silence ne saurait succéder aux bruyantes démonstrations d’autrefois, sans être remarqué et commenté. L’alliance, après être sortie des arcanes des chancelleries, ne pouvait pas y rentrer purement et simplement. Qu’on ait eu tort ou raison de l’en faire sortir, là n’est plus la question. Il y a des précédens qui obligent. En Russie aussi bien qu’en France, on a donné à l’alliance une publicité dont les conséquences sont inévitables. Le peuple y a dit son mot, et il aime à le répéter. On vient de le voir pendant la récente session des conseils généraux, qui s’est ouverte au moment même où le voyage de l’empereur était annoncé. Nos assemblées départementales, quelle qu’y fût d’ailleurs l’opinion politique dominante, ont voté à qui mieux mieux des ordres du jour pour exprimer leur satisfaction et pour féliciter le gouvernement. On n’a vu que le voyage du tsar, on a oublié tout le reste ; et c’est assurément la preuve la plus éclatante de l’union qui existe ou qui se reconstitue si rapidement parmi nous, lorsqu’il ne s’agit que de la patrie. Tel a été le premier mouvement : il s’en est produit ensuite quelques autres dont nous aurons à parler, mais qui ne se rapportent ni à la Russie, ni à notre alliance avec elle. Sur cette alliance, à l’exception de quelques socialistes doctrinaires et farouches, nous sommes tous d’accord.

Le gouvernement a été jusqu’ici très sobre de l’enseignemens sur la manière dont la chose a été préparée. On sait seulement que l’empereur de Russie, ayant été invité par l’empereur allemand à assister aux manœuvres navales de Dantzig, a accepté cette invitation, et il est permis de croire que de là est venue l’idée d’une visite à la France, où il y a aussi des manœuvres navales et militaires. Que l’initiative en appartienne au gouvernement de la République ou à l’empereur Nicolas, peu importe : l’idée elle-même est si naturelle qu’elle devait presque inévitablement se présenter à l’esprit de l’un et de l’autre, et