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Montflobert, qu’il faut appeler désormais Dix-Août, — nous possédons son acte de « débaptisation civique, » en date du 20 frimaire, — s’était fait agréer par Fouquier-Tinville comme juré au tribunal révolutionnaire. Il tendait patiemment ses filets autour de ses anciens administrés. Le 10 octobre au soir, un détachement de hussards de la Mort envahissait le château de Marolles. Un commissaire du Comité de Salut Public signifia son mandat d’arrêt au maître du logis, à la femme Quatre-Solz et au fils aîné. Le même convoi emmena à Paris toute une fournée, le curé Le Bas, l’abbé Leuillot, l’abbé Cagnyé, M. Aubert de Fleigny, d’autres encore.

L’ex-législateur fut aussitôt mis hors de cause. Le pauvre homme revint défendre devant le tribunal sa femme et son fils, — ce fils qu’un père citoyen vous redemande pour l’offrir encore à la République. Les fiers accens de Rome et de Lacédémone repentissent encore dans son âme qui repousse et détestera toujours les vils complots des esclaves. Dès sa plus tendre enfance, je l’ai dédié à la vertu et consacré à la liberté… » — Cette éloquence civique ne toucha pas les jurés. Les seuls chefs d’accusation contre la citoyenne Quatre-Solz et l’officier du Royal-Béarn étaient les fragmens de la correspondance que j’ai cités : vœux anti-patriotiques, connivence avec les émigrés, éloges prodigués à Capet. On a lu plus haut les phrases particulièrement incriminées : elles auraient justifié tout aussi bien, au jour d’une réaction royaliste, des poursuites pour crime de lèse-majesté. Il y avait en outre au dossier une chanson séditieuse de M. Huvier des Fontenelles, saisie chez les Marolles, et une pièce chiffrée : c’était, dit M. Wallon, une histoire de Frédégonde !

Le 29 novembre-9 frimaire, les accusés comparurent devant le Tribunal : sommairement interrogés, ils protestèrent de leur civisme. Humiliation inutile : les jugemens du président Herman étaient libellés d’avance. L’extrait de celui-ci est d’une concision effroyable ; il mentionne la condamnation à mort de « Le Bas et autres : » — neuf victimes qu’on remit au lendemain, l’audience ayant fini tard ce jour-là, et qui montèrent le 10 frimaire dans deux charrettes. Il fallut séparer de force la mère et le fils, étroitement embrassés, disent les Mémoires de Sanson. On sait que cet ouvrage est très suspect, pour ne pas dire apocryphe : mais nous n’avons pas besoin du récit dramatique attribué au bourreau pour nous représenter le désespoir de la malheureuse.