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qui auraient souhaité de pouvoir la démentir ; bien significative, cette persuasion tenace qu’on médite aux Tuileries la perte de l’Assemblée, la « trahison ; » — le mot y est. Que devait donc croire et penser le peuple, alors que l’on s’exprimait ainsi chez MM. de Marolles ? Etranges malentendus des révolutions ! Si ces cœurs séparés avaient pu se pénétrer mutuellement, l’entente eût été parfaite entre le pauvre roi et les personnes qui sentaient comme Mme de Marolles : vis-à-vis des émigrés, des puissances, de la Constitution, il semble bien que l’âme incertaine de Louis XVI ait passé par tous les reviremens, par toutes les velléités contradictoires dont témoigne notre correspondance.

Nous ne saurions trop déplorer qu’elle soit si réservée au sujet de M. de Marolles. Quelques touches de plus, et le portrait du législateur se dresserait en pied, pour notre plus grande joie. On l’achèverait aisément en regardant ses pareils, nombreux et immuables dans le type qu’il inaugurait. Ce Marolles offre un très beau cas d’une infirmité contagieuse dans les assemblées, et qu’on pourrait appeler la cécité parlementaire. Il descend un instant, inutile et les yeux bandés, dans l’abîme où s’écroule un monde ; et l’ingénu croit que les destins de ce monde sont forgés dans les comités où il paperasse, dans les conciliabules où il pérore. La foudre sillonne le ciel en tous sens, et il se flatte de la capter en agitant le papier constitutionnel où l’encre n’a pas encore séché. Il a le fétichisme de sa constitution mort-née, qu’un Danton va broyer demain sous ses bottes : chef-d’œuvre admirable pour les philosophes comme Marolles, parce que la raison pure l’a dicté ; chiffon inexistant pour le peuple, puisqu’il est d’hier, sans prises séculaires sur les imaginations, sans apostilles vénérables des vieux morts. Tout s’effondre autour de notre homme, et il cherche imperturbablement « le point milieu, » sa quadrature du cercle ; il attend cette majorité qui doit toujours se former la semaine prochaine, avec le tiers-parti, en pivotant sagement sur le centre, et qui rétablira tout !

L’infaillible Constitution fait une large place au roi ; lui disparu, elle serait lettre morte. Royaliste d’instinct et de tradition, Marolles l’entend bien ainsi, à la condition que le monarque reste dans les lisières qu’il lui a tressées. Sa bonne foi est indéniable. Et ce disciple des philosophes, qui a lu l’histoire, ne s’est pas demandé une seule fois s’il était possible de faire, devant le peuple soulevé, un roi constitutionnel avec le roi absolu