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UNE
CHARRETÉE RÉVOLUTIONNAIRE[1]

Comment les jeunes gens d’aujourd’hui se représentent-ils la Révolution ? Je ne parle point ici des idées abstraites et complexes que peuvent s’en faire l’érudit, le philosophe, le politique, mais de cette image sensible, sommaire et linéaire, qui passe devant les yeux de l’esprit chaque fois que l’on prononce le nom d’une époque historique. Une suite d’images d’Epinal, fortement teintées, composées avec quelques scènes dramatiques et quelques personnages symboliques, n’est-ce point ainsi que se peignent dans la plupart des cerveaux les grandes phases de l’histoire ?

Pour ceux avec qui j’entrai dans la vie, — quel que fût d’ailleurs leur sentiment intime, horreur ou enthousiasme, — ce mot : la Révolution, évoquait l’idée d’une France convulsée et délirante, brusquement changée dans les moindres cellules de son organisme ; jusque dans le train quotidien des plus humbles existences, tout avait dû être extraordinaire, monstrueux, héroïque ; nos imaginations n’admettaient pas de taches grises sur ce fond d’un rouge sanglant. Lecteurs de Lamartine et de Michelet, des Mémoires royalistes ou des plaidoyers républicains, nous nous figurions des années uniformément épiques, durant lesquelles chaque Français était tout occupé de son rôle grandiose. Taine a réformé pour beaucoup d’intelligences le point de vue moral : il s’est efforcé de rapetisser les géans de la légende ; mais, avec

  1. Les Lettres d’une mère : Épisode de la Terreur, par M. Victor de Marolles. — Paris, Perrin et Cie, 1 vol. in-8o, 1901.