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Si la musique de Beethoven laissa Grillparzer incertain et comme partagé, celle de Weber lui fut un sujet non pas de contradiction, mais de scandale sans mélange. Le maître du Freischütz et d’Euryanthe lui parut le plus allemand des Allemands du Nord, et le plus malfaisant, un de ceux qui méconnaissent la distinction entre la poésie et la musique, entre les mots et les sons. « Tu es un diable de garçon ! » disait Beethoven, en l’embrassant, au musicien de la Fonte des Balles. C’est de « diable » tout court, et même davantage, que, dans une déplorable parodie du Freischütz, dans un article non moins fâcheux sur Euryanthe, Grillparzer l’a qualifié.

« Hier, je suis retourné à Euryanthe. Cette musique est abominable. Ce bouleversement de l’harmonie, cette violence faite au beau aurait été punie par l’autorité aux temps heureux de la Grèce. Une telle musique est contraire à la bonne police ; elle formerait des monstres, si elle trouvait peu à peu accès partout. La première fois que j’entendis cet opéra, des distractions m’aidèrent à supporter les passages les plus pénibles. Hier, le désir de ne pas être injuste envers le compositeur me fit prêter une oreille attentive. Au commencement, cela ne marcha pas trop mal, soit que le début fût moins amphigourique, soit que mon endurance ne fût pas encore affaiblie. Mais, de degré en degré, mon horreur augmenta et devint finalement un malaise physique. Si, à la fin du second acte, je n’avais pas quitté le théâtre, il aurait fallu me porter dehors au cours du troisième. Cet opéra ne peut plaire qu’à des fous, à des imbéciles ou à des savans, à des voleurs de grand chemin et à des assassins[1]. »

Trente ans après, Wagner seul jettera Grillparzer dans de pareils égaremens, et la parodie du Freischütz aura comme pendant certaine lettre, ironique aussi, mais autrement que ne croyait l’auteur, écrite en 1854, après une audition de l’ouverture de Tannhäuser.

Et pourtant ces deux esprits, Grillparzer et Wagner, se touchaient, ne fût-ce que par quelques points, comme les extrêmes. Ils ont eu parfois la même conception de la musique ; ils en ont donné certaines définitions qui se ressemblent.

Grillparzer a très bien vu, le premier, que « l’objet qu’il appartient à la musique de rendre, ce sont les mouvemens les

  1. Cité par M. Ehrhard.