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fréquenté cette maison. L’enfant reçut de sa mère ses premières leçons : elles furent pénibles et faillirent le dégoûter de la musique. Puis il passa de ces mains trop nerveuses dans les mains singulières d’un bohémien, Johann Mederitsch, surnommé Gallus. Contrapontiste excellent, mais paresseux et insouciant. Gallus donnait, pour ne pas mourir de faim, des leçons extraordinaires. La moitié se passait à jouer avec son élève, non pas à quatre mains sur le piano, mais à quatre pattes, dessous ; l’autre moitié était consacrée à des improvisations qui jetaient Mme Grillparzer dans l’extase.

Il faut croire que la méthode n’était pas si mauvaise, car le petit Franz faisait des progrès. Le premier suffrage qu’il obtint fut celui de la cuisinière. Il a raconté lui-même avec quel morceau : « L’exécution de Louis XVI était alors de mémoire encore récente. Entre autres exercices, on m’avait fait apprendre une marche qui, à ce que l’on prétendait, avait été jouée lors de cette exécution. A un endroit de la seconde partie, il y avait à glisser avec un seul doigt sur toute une octave, pour rendre la chute du couperet. À ce passage, la vieille personne versait des larmes brûlantes. Elle ne pouvait se lasser de l’entendre[1]. »

En dépit de ce succès domestique, l’enfant commençait à montrer un goût beaucoup plus vif pour le violon que pour le piano. Ses parens n’en persistaient pas moins à le condamner à l’instrument détesté. Un soir qu’il devait « se produire » avec son frère, devant les hôtes du salon paternel, il alla se cacher, pour éviter la corvée, dans une chambre retirée. Son père, qui ne badinait pas, supprima du coup les leçons de musique.

Ce n’est qu’au bout de sept ou huit années, qui, pour les siens et pour lui-même, ne furent point heureuses, que Grillparzer rouvrit l’instrument auquel il avait sans doute pardonné. « J’avais tout oublié, dit-il, et même les notes m’étaient devenues étrangères. Par bonheur, mon premier maître, Gallus, en me faisant travailler, un peu par plaisanterie, la basse chiffrée, m’avait donné quelques notions des principaux accords. Je pris plaisir à l’harmonie des notes ; les accords se résolurent en mouvemens, et ceux-ci formèrent de simples mélodies. » Grillparzer continua toujours de jouer ainsi, de tête. Il arriva même à pouvoir improviser pendant des heures. Plus tard seulement, il étudia le

  1. Cité par M. Ehrhard.