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Beethoven ; d’autres enfin, Weber d’abord, et beaucoup plus tard Wagner, ont été par lui méconnus et presque maudits. Mais la musique elle-même ne fut jamais, par aucun grand écrivain, même par notre Jean-Jacques Rousseau, comprise plus profondément et plus passionnément chérie. Seul, l’auteur du Musicien pauvre a pénétré si avant « dans le mystère de la vie des sons, qu’il s’y trouve à l’aise comme en son propre domaine[1]. » Durant toute sa carrière, qui fut longue, il a cherché, trouvé dans la musique la joie de ses sens, de son esprit et de son cœur. S’il n’a pas eu de compagne plus fidèle et de plus douce consolatrice, c’est que, de même qu’à son destin, la musique fut liée à son génie. On a très bien dit de Grillparzer : « Les premières et les plus pures inspirations de sa muse lui venaient souvent dans la langue sans paroles de la musique, qu’il transposait, auditeur attentif, en l’interprétant dans la langue de la poésie. Il a mis de la musique en paroles. L’origine la plus profonde et la fin dernière de son travail poétique, c’était le doux et flottant état d’âme qui passe, insaisissable et frémissant, dans les airs, comme les échos apaisés qui viennent d’espaces lointains et inconnus… Là où la musique et la poésie se joignent, c’est là que battait son cœur[2]. »


II

Né en 1791, l’année où Mozart mourut, Grillparzer n’est mort qu’en 1872, après l’apparition de l’œuvre presque intégral de Wagner. Peu d’hommes ont vu s’accomplir une période aussi longue et d’une pareille importance dans l’histoire de l’art musical : quatre-vingts ans, près d’un siècle par l’évolution du temps ; parcelle de l’idéal, un espace qui nous paraît infini. Faut-il donc s’étonner qu’un esprit, même aussi vaste, n’ait pu l’embrasser en entier, que même un tel témoin de tels changemens, et en apparence de telles contradictions, n’ait pu les accepter ou seulement les comprendre toutes ?

Franz Grillparzer naquit à Vienne, dans une ville et dans une famille de musiciens. Sa mère, Anne Sonnleithner, qui « vivait en musique, » était fille d’un jurisconsulte mélomane et sœur de deux hommes qui tiennent un rang dans l’histoire du théâtre et de la musique en Autriche. Haydn et Mozart avaient

  1. M. Hanslick.
  2. M. de Berger, cité par M. Ehrhard.