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document authentique de l’année 1698 mentionne qu’à cette date 24 bateaux de poche, dont 14 de vingt tonneaux, y étaient attachés[1]. Soixante ans après, la mer rasait la falaise, emportant le village dont on a peu à peu reconstruit les maisons en étage sur les gradins de la roche ; et depuis lors on n’a cessé d’y établir des villas, des chalets, des hôtels à l’usage des baigneurs. Au-devant de l’ancien petit havre, émerge maintenant une large traînée de galets. Ce banc se prolonge vers le Nord et marque la limite incertaine de la terre et de la mer. En arrière de cette clôture assez fragile, une plaine basse, marécageuse, des vases récentes, des terres meubles en voie de formation. Les eaux vives du flux et du reflux, qui les recouvraient il y a quelques siècles à peine, ont été peu à peu refoulées par les travaux opiniâtres de l’homme ; et une série de levées latérales, d’épis submersibles, d’estacades et de digues de défense les ont rendues stagnantes et en quelque sorte emprisonnées. Une grande partie du golfe maritime autrefois largement ouvert, battu par les vagues, sillonné par les courans est ainsi devenu une immense lagune, — lagune vive d’abord, lagune morte ensuite, lagune colmatée aujourd’hui, coupée de rigoles d’écoulage, de petits canaux d’assainissement et en pleine voie de production agricole. Sur un grand nombre de toutes les levées, jadis noyées, qui sillonnent la zone littorale, on circule maintenant à pied sec, souvent même en voiture. On laboure, on sème, on récolte sur les lieux mêmes où nos ancêtres jetaient leurs filets. L’ancienne rade marine est devenue une grande plaine basse, encore un peu marécageuse, conquête récente de l’homme, et, dont la richesse, la salubrité et la population augmentent tous les jours. Une large échancrure, toujours navigable et soigneusement aménagée, la coupe seulement vers le milieu, permettant aux barques de pêche et aux bateaux de mer d’un tonnage moyen de remonter jusqu’à Saint-Valéry. C’est le grand estuaire de la Somme.

CHARLES  LENTHERIC.

  1. Mémoire sur la Picardie, par Bignon, intendant de la Province. Bibliothèque nationale, Manuscrits.