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Il était pénétré des principes de Frédéric, et ses réformes eurent pour but principal de modeler les troupes françaises sur les prussiennes.

L’ordonnance du 1er juin 1776, sur l’exercice et les manœuvres de l’infanterie, dont Guibert et le major autrichien de Pirch furent les principaux auteurs, porte au maximum le formalisme, le rythme des allures, et l’automatisme, Elle emprunte à l’armée prussienne jusqu’à sa discipline. Les coups de plat de sabre sont introduits dans les punitions journalières. « Les coups de canne et les soufflets n’avilissent pas, » disait-on. « Le capitaine n’est-il pas le roi de sa compagnie ? Sa sévérité n’a d’autres bornes que ses intérêts. S’il mesure parfois les coups, c’est qu’il redoute la désertion. »

Ces coups de plat de sabre étaient donnés à la parade du régiment, et l’exécuteur était choisi parmi les bas officiers de la compagnie du coupable.

Un long cri de douleur et de colère s’éleva dans l’armée. La reine reçut même à ce sujet une requête où les soldats exprimaient en vers leur avilissement et leur désespoir.


Qui parmi les soldats osera le premier
Remplir d’un vil bourreau l’exécrable métier ?


Et cependant le maréchal de Saxe avait écrit peu d’années avant : « Les Français reprochent la bastonnade aux Allemands. Un officier qui injurie un soldat, qui lui donne des soufflets ou des coups de fouet est cassé sur la plainte du soldat, et l’officier est obligé de lui en faire satisfaction, si le soldat l’exige, lorsqu’il n’est plus sous son commandement, sans quoi il est déshonoré. »

Ce temps était oublié. Une fermentation générale et des résistances constantes se produisirent. « Nous n’aimons du sabre que le tranchant, » avait dit un grenadier. Le mot fut partout répété, commenté. Il devint la formule de la révolte contre la discipline coercitive.

Cette ordonnance du 25 mars 1776 fut cependant maintenue en vigueur pendant plusieurs années.

Les conséquences de ce détestable système se firent bientôt sentir. Elles furent des plus graves. Des régimens se soulevèrent. On dut y renoncer. Mais un ferment de haine se conserva pendant de longues années et prépara les troupes à accueillir avec joie le mouvement révolutionnaire.