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ou treize ans d’épreuves, a passé « petit sujet » vers l’époque de sa vingtième année, devint-elle « étoile » même, — les étoiles, à part de rares exceptions, sortent hiérarchiquement des classes de danse, — la ballerine doit s’exercer sans cesse ; à cette seule condition elle conserve sa légèreté. Une semaine de repos se rachète par deux mois de besogne double, et cela jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite.

« J’aimerais mieux scier du bois, » disait une danseuse en sortant de scène, les yeux brûlans et la figure baignée de sueur, — « Tu n’es pas dégoûtée ! » lui répondit une camarade. Ce sont là des boutades ; en fait, depuis l’inspecteur général de la danse, âgé de cinquante-cinq ans, qui apprit la pantomime sous Debureau et n’a pas cessé de danser depuis un demi-siècle, avec autant de jarret que d’ « estomac, » jusqu’aux « rats » pâlots, aux bras fluets et aux clavicules proéminentes, le personnel chorégraphique aime son art. Cet art n’est pas extraordinairement rétribué, bien que le budget du corps de ballet monte à 360 000 francs par an. L’importance de la somme vient de ce que l’effectif a beaucoup augmenté.

En 1713, il comprenait 12 danseurs et 10 danseuses, touchant de 400 à 1 000 livres.

En 1841, il se composait d’une quarantaine et en 1869 d’une soixantaine d’artistes ; il en compte aujourd’hui 115. De Louis XV à Louis-Philippe, les prix s’étaient beaucoup élevés pour les célébrités ; ils ont baissé depuis lors. La Camargo n’était payée que 5000 livres, tandis que la Rosati recevait 60 000 francs ; mais les étoiles actuelles, danseuses « nobles » ou « à variations, » n’ont pas plus de 25 000 à 30 000 francs. Les « premiers sujets » vont de 7 000 à 15 000, et les demoiselles des quadrilles se contentent de 1 500 à 1 800 francs. L’avancement se donne à l’ancienneté et au choix ; il se trouve de ces gens qui ne respectent rien pour dire que la protection n’y est pas étrangère ; pourtant, les promotions insolites soulèvent tant d’émotion et de colère qu’elles ne doivent pas être plus fréquentes qu’ailleurs.

Sans entrer dans la vie privée de ces frétillantes jeunes filles, — la corporation ne contient que deux ou trois femmes mariées, — à ne considérer que leurs toilettes et leurs bijoux, il est clair qu’elles ont le secret d’ordonner, avec de modestes appointemens, des budgets fort raisonnables, et que leur situation est à l’abri du besoin. Quoique le foyer de la danse ne soit plus de