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Vous voulez cueillir une fleur ; comme la main va plus vite que le corps, vous devez d’abord l’étendre, en vous dirigeant de son côté… Vous êtes en extase ; l’admiration idéale fait porter les mains vers l’objet ; vous avez les bras dans toute leur extension, il faut maintenant les bien ramener. » Un jeune couple occupe à présent l’estrade et entame le duo d’amour des Huguenots : « Bougez pas, ne vous balancez pas, pourquoi ces tortillemens ? Parce que vous ne regardez pas votre personnage… « En l’écoutant, je suis coupable, » dit la prima donna… « Mais non, interrompt le professeur, c’est une romance que vous chantez là ! « Je ne vois plus que toi,… » continue l’élève… « Vous tournez l’œil justement à ce moment-là, mademoiselle, reprend le maître. Votre œil est grand, d’après sa constitution, il aurait facilement l’air écarquillé, marquant la stupeur ; mais, de peur de l’ouvrir, il ne faut pas le laisser morne. »

Si nous avons, un peu longtemps peut-être, fait assister le lecteur à ce cours, qui pour le chanteur semble n’être qu’un accessoire, c’est qu’il nous apprend, mieux que tout autre, à combien d’études doit se livrer l’artiste avant d’acquérir le minimum de talent qui lui est indispensable.


IV

Les lauréats du Conservatoire sont engagés d’office dans les théâtres subventionnés. Ils y doivent demeurer deux ans, si les directeurs le réclament, avec un traitement réglé d’avance et assez minime : 2 000 ou 3 000 francs à la Comédie-Française, 5 000 à 7 000 francs à l’Opéra. Cette clause n’est pas pour leur préjudicier. S’ils réussissent, l’imprésario déchire bien vite leur traité modeste, mais court, pour les lier à des conditions brillantes par un contrat de longue durée. Faute d’un premier ou d’un second prix, l’artiste se case au petit bonheur. S’il a du talent, il finit toujours par percer. Les moins bien doués vont grossir le bataillon des « m’as-tu vu, » ainsi qu’on désigne d’après la phrase typique, — « m’as-tu vu comme j’étais beau ? » — le « cabotin, » l’« utilité » médiocre, incapable d’atteindre jamais la « vedette. »

Cette « vedette, » apposition d’un nom en gros caractères par-dessus tous les autres, n’est pas bien ancienne. Au siècle dernier, l’indication des acteurs ne figurait pas sur les affiches. Les directeurs furent contraints de la donner par ordonnance de