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combien les officiers ont fait leur devoir. Pas un des officiers blessés n’a quitté son poste ni permis qu’on le pansât, avant que l’affaire ne fût entièrement finie et la victoire assurée. Sur 31 généraux mis en ligne, près d’un tiers ont été touchés. C’est aux soldats aussi qu’il faut rendre hommage. Sans la ténacité du 1er grenadiers à l’aile droite, sans le sacrifice héroïque du 2e Moscou et de Vybord au centre, l’affaire était perdue dès le début. La victoire de Jægersdorf est une victoire des soldats. »

Le lendemain de Kunersdorf, le général en chef russe Soltykoff écrivait à la tsarine :

« S’il y a dans l’histoire une victoire plus complète et plus glorieuse, cependant le zèle et le talent des généraux et officiers, l’héroïsme, la bravoure, la discipline, la fraternelle concorde des soldats, méritent d’être cités en exemple aux siècles à venir. »

C’était bien une armée nationale. Son niveau moral était donc très supérieur à celui de l’armée prussienne ; de là ses victoires.

Mais si l’armée prussienne était alors de si médiocre qualité, comment expliquer la déroute de Rosbach ?

Certes le talent du général en chef contribue dans une large mesure au gain de la bataille, et la présence de Frédéric pourrait suffire ; mais encore faut-il que le génie puisse s’étayer sur la valeur des troupes.

Que seraient devenues les plus belles combinaisons de Napoléon si ses troupes n’avaient pas été sûres et enthousiastes ?

Soltykoff peut-il être comparé à Frédéric ? Cependant celui-ci, écrasé à Kunersdorf, laissait 7 627 tués, 4 542 blessés, 7 000 prisonniers, 28 drapeaux et 172 canons aux mains des Russes.

En France, la situation était presque la même qu’en Prusse. Depuis 1720, il existait une double armée. Les troupes réglées, composées de volontaires, et les milices provinciales.

En fait, les premières ne contenaient que des racolés. Les régimens qu’ils formaient étaient, au point de vue de la valeur morale, comparables à ceux de l’armée prussienne.

« Parmi nous, en Europe, les désertions sont fréquentes, dit Montesquieu, parce que les soldats sont la plus vile partie de chaque nation et qu’il n’y en a aucune qui ait ou qui croie avoir un certain avantage sur les autres »