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de mètres, mais par une montée fort raide. Et c’est alors un spectacle émouvant, vraiment inoubliable. Les facchini abordent la pente au pas accéléré ; la foule a quelque peine à les suivre. Et l’édifice en feu semble emporté par un tourbillon, dans un balancement plus court, plus haletant, si j’ose dire. Il se précipite vers une sorte d’apothéose. Cette course, qui paraît folle au premier abord, est pourtant nécessaire. C’est, un coup de collier, l’effort final : il faut le fournir d’enthousiasme, sans réflexion. Si l’on s’arrêtait, fût-ce une seconde, qui sait si l’on pourrait repartir et atteindre le but ? Par instans, le fardeau devient pour quelques-uns des porteurs littéralement écrasant, dépassant de loin les cinquante kilogrammes qui reviendraient équitablement à chacun. Seuls des corps robustes, dispos, entraînés sont capables de résister à l’accablement produit par l’effort continu qu’il faut donner pour affronter une pareille ascension avec un pareil fardeau. Sans une confiance illimitée, aveugle, en soi-même, il n’y aurait pas de salut.

Quand nous arrivons sur la place de Santa Rosa, la macchina repose paisiblement sur ses pieds et le peuple l’entoure avec une affectueuse admiration. Les porteurs ont déjà disparu, entraînés par leurs amis. Ils vont se dédommager de l’abstinence à laquelle on les a soumis vingt-quatre heures durant. S’ils donnent quelques accolades de trop aux fiaschi des crus d’alentour, personne ne leur en saura mauvais gré. Dans les chants que j’entends longtemps après avoir regagné mon gîte, j’éprouve quelque plaisir à retrouver de mâles voix, peut-être celles des braves gaillards qui ont porté sur leurs épaules la macchina triomphale.


F. DE NAVENNE.