Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont jamais la valeur de celles que donne la conscription. Elles se lassent vite de la guerre, surtout lorsque l’espoir du pillage ne peut les animer. La discipline coercitive que nécessite leur personnel ne développe ni le dévouement ni le courage, et dans les circonstances dangereuses, elles mettent facilement bas les armes. Pour les entraîner au combat, les officiers, forcés de payer de leur personne plus qu’il ne faudrait, se sacrifient en grand nombre, et il peut arriver tel moment, où ces troupes, mal recrutées et manquant de cadres, deviennent incapables de remplir leur mission, quel que soit leur nombre.

A la fin du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle, la Prusse avait des institutions militaires de cet ordre. Elles amenèrent des désastres. Aussi, à la suite des événemens de 1806, la conscription et le service personnel furent-ils introduits ; mais quoique la qualité des soldats fût devenue très bonne, les anciens procédés d’instruction et de discipline furent maintenus.

Malgré les profonds changemens de l’état social de l’Allemagne, ils se sont perpétués jusqu’à nos jours. Pour remédier à cette cause de faiblesse, une importante évolution commence.

Il ne faut pas perdre de vue que la tactique, les procédés de combat, sont étroitement liés à la nature de la discipline. Dans une armée où l’obéissance n’est obtenue que par la menace de la coercition, les troupes doivent être étroitement encadrées et surveillées. Il faut que le soldat combatte à sa place dans le rang. Aucune initiative ne peut lui être laissée, car la plupart du temps il en ferait mauvais usage. On est ainsi amené à des formes tactiques formalistes et rigides où le soldat est constamment tenu sous le regard de son chef ; à l’emploi des colonnes et des masses même lorsque les progrès de l’armement les condamnent.

Au contraire, lorsque les troupes ont un moral élevé et qu’elles obéissent à une discipline librement consentie, faite de dévouement et d’abnégation, les chefs n’ont plus qu’à les guider. La tactique peut alors devenir celle que l’armement comporte. Le combat de tirailleurs, où l’homme est souvent abandonné à lui-même, devient le procédé le plus actif et le plus puissant. L’éducation du soldat doit alors tendre au développement de son individualité.

De deux armées, dont l’une sera fondée sur la discipline coercitive et l’autre sur la discipline morale, celle-ci battra toujours celle-là. De tout temps, il en fut ainsi.