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une nuée d’enfans à moitié vêtus qui jouent et qui crient à qui mieux mieux ; ici, un lavoir où des filles en chignon blanchissent bruyamment les loques de la famille ; là, un jardinet grand comme la main où des plantes folles poussent en forêt vierge. Certes, ils n’ont à aucun degré la mine belliqueuse, ces pauvres diables surpris de voir l’intérêt que suscite chez les étrangers leurs misérables logis ; et pourtant, dans son abandon, San Pellegrino respire à pleins poumons une atmosphère de bataille.

Le centre du quartier en était aussi le cœur ; là se dressaient des tours pressées en quelque sorte les unes contre les autres, alliées ou ennemies ; un grand nombre ont survécu, plus ou moins mutilées. Sur une place minuscule, est une humble église dont la façade a été plus d’une fois réparée ; asseyez-vous sur les marches et ouvrez largement les yeux, car, dans cet étroit horizon, vous pouvez vous offrir une des plus poignantes évocations qui soient du haut moyen âge. Sur deux côtés, en face et à droite, repose le palais des Alessandri, ou plutôt l’ossature décrépite de ce que fut cette demeure féodale, singulier mélange de préoccupations militaires et artistiques, produit mixte des traditions lombardes et des influences romaines, massif et pesant comme une armure avec ses arcs surbaissés et son balcon volumineux, élégant avec ses frises sculptées, pittoresque surtout en raison de l’inattendu des lignes, si original que l’œil ne discerne aucun plan d’ensemble et que la pensée imagine d’elle-même, dans ce coin du monde, les existences les plus extraordinaires et les drames les plus étranges.

L’histoire ne dément pas, tant s’en faut, les rêves de scènes émouvantes qu’engendre la vue de ce palais romantique. On raconte que, pendant le séjour qu’il fit à Rome, Walter Scott se rendait souvent à Bracciano, préférant la silhouette et les cours intérieures du château féodal des Orsini aux ruines du Colisée et des thermes de Caracalla. Il eût sans doute goûté un égal plaisir devant les restes du palais des Alessandri. Il aurait pu retrouver, d’ailleurs, en feuilletant les vieilles chroniques, plus d’un trait digne de trouver place dans un de ses romans. Ces Alessandri appartenaient à la faction des Gatti. Pas de querelles citadines qui leur fussent étrangères. Ils devaient vivre, dans leur maison crénelée, à laquelle on n’accédait que par des ruelles tortueuses, coupées de voûtes basses, sur un perpétuel qui-vive ; les