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préluda au duel singulier d’une simple commune de soixante mille habitans contre l’héritier des Augustes, le maître de l’Allemagne et d’une partie de l’Italie, le roi de Jérusalem, duel rendu plus inégal encore par la présence dans le château d’une forte garnison allemande. Capocci, cet homme d’église doublé d’un grand capitaine, fit face à tous les dangers. Aux tours de bois, aux châteaux roulans, aux balistes des Allemands, il opposa des machines de son invention, des chemins couverts. Par son ordre, on pratiqua des corridors secrets qui, passant sous les murailles de la ville, aboutissaient au camp impérial. Là était le salut de Viterbe. Quand sonna l’heure de l’assaut général, les Allemands, après une lutte acharnée, parvinrent à forcer l’enceinte de pieux que Capocci avait fait dresser sur le point le plus faible. Déjà ils chantaient victoire, quand une clameur terrible éclata derrière eux : le camp impérial était la proie des flammes. En vain Frédéric essaya-t-il de rallier ses troupes, la panique régnait en souveraine. La grosse cloche de Viterbe, sonnant à toute volée, apprit à la contrée que la journée était perdue pour l’empereur. L’échec était de ceux qu’on ne répare pas.

Mais ce fut, de tout temps, à l’intérieur des murs que se livrèrent les plus furieux combats. Il semblait qu’un vent de discorde soufflât perpétuellement sur cette population pour animer les citoyens les uns contre les autres, dans des luttes, — et c’est là ce qu’il convient de remarquer, — d’où l’intérêt public était presque toujours absent. Dès le XIIe siècle, la ville est comme partagée en deux camps, avec des chefs reconnus : d’un côté, commandent les Gatti, originaires de Bretagne ; de l’autre, les Tignosi, venus de Mayence. Autour de ces familles riches et puissantes, se groupent tous les autres nobles, suivis de leurs vassaux, de leurs amis, de leur nombreuse domesticité ; les uns possesseurs de fiefs et de châteaux forts dans la campagne, les autres enfermés dans leurs maisons de ville, semblables à des forteresses. Des deux côtés, on est avide de domination ; de là des intrigues sans fin, des brigues désespérées pour obtenir les charges enviées de podestat et de capitaine du peuple. Les annales de Viterbe relatent ces rivalités, qui dégénèrent bientôt en contestations brutales et en voies de fait. Puis, par une conséquence nécessaire, viennent les coups de main, les guet-apens, les trahisons, les meurtres. Le sang commence à couler