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La vengeance se fit attendre trente-trois ans. Viterbe l’attira sur sa tête en provoquant à la fois le pape et le Sénat, ces deux puissances rivales par tradition. Le pape répondit par l’interdit, le Sénat par l’envoi d’une armée, qui, battue dans une première rencontre, l’emporta finalement. C’en était fait de Viterbe sans l’intervention inattendue d’Innocent III, un pape politique, qui ne voulut pas que la victoire des Romains se changeât en un triomphe définitif. Les vaincus durent s’estimer heureux d’acheter la paix moyennant la restitution des portes de Saint-Pierre.

Viterbe courut peu après un danger encore plus pressant. Frédéric II, cet énigmatique empereur, avait attiré la ville dans son alliance, par l’entremise du parti gibelin. Il la comblait de ses faveurs : pour lui témoigner sa bienveillance, il alla jusqu’à munir le château d’une garnison allemande, jusqu’à construire un palais susceptible de loger sa cour, ses officiers et ses concubines. De si grandes marques d’intérêt touchèrent les Viterbois au point sensible ; ils y répondirent, comme il convenait, en exilant les chefs de la faction gibeline et en mettant le siège devant le château. On ignore ce dont le prince fut le plus irrité, de voir pénétrer ses secrets desseins ou de perdre une place qui lui assurait de si réels avantages dans sa lutte contre le pontificat. Il accourut avec une armée, donna incontinent l’assaut, et fut repoussé.

C’était d’un siège en règle qu’il s’agissait. Frédéric envoya des agens en Toscane avec ordre de lever des troupes. Par malheur pour lui, de nombreux anathèmes pesaient sur la tête du César qui avait violé son serment de prendre la croix. Ce successeur de Charlemagne ressemblait, d’ailleurs, plus à un sultan qu’à un monarque chrétien. Avec sa garde sarrazine, ses astrologues, son harem, il apparaissait aux yeux des Italiens comme une sorte d’antéchrist ; et quand le défenseur de Viterbe, le cardinal Capocci, eut publié la croisade contre le Hohenstaufen, rares furent les hommes de guerre qui répondirent à l’appel de l’empereur.

Les Viterbois n’en virent pas moins avec anxiété une ville de bois s’élever en face de leurs murailles. Il leur était impossible de se faire illusion sur le sort qui les attendait en cas de défaite. La cruauté de Frédéric était aussi célèbre que sa perfidie. Mais Viterbe contenait une population enivrée d’indépendance, incapable d’accepter le joug. C’est dans ces conditions que l’on