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prendre une première idée d’une ville de moyenne grandeur, est-il plus utile d’en inspecter soi-même le relief que de s’en rapporter aux plans figures, mais artificiels, que contiennent les guides. Elle apparaît ainsi dans son ensemble, avec sa couleur naturelle, unie à la campagne qui l’environne et dont elle vit. Néanmoins, je ne conseillerais pas l’ascension de ce campanile municipal aux personnes que le vertige incommode : c’est une expérience faite pour tenter les membres du Club Alpin et les gens qui, fatigués de la vie, hésitent à prendre la responsabilité du suicide. L’escalier de bois qui circule le long des parois intérieures ressemble à une échelle ou plutôt à une suite d’échelles fortement inclinées, imparfaitement reliées les unes aux autres, munies d’une rampe trop frêle pour masquer le vide central qui devient plus effrayant à chaque enjambée. Monter ces paliers interminables, passe encore, mais les descendre ! La plate-forme supérieure supporte un assemblage élégant de fer forgé au milieu duquel sont suspendues deux cloches qui annoncent depuis des siècles au peuple de Viterbe les heures uniformes et les événemens importans de la vie publique. De ce belvédère haut perché, la ville apparaît, sous le soleil révélateur, irrégulière et bizarre, comme il convient à une ville de son âge. Au Sud-Ouest, les monts Ciminiens barrent l’horizon d’une ligne large, massive, puissante. Les montagnes que les Humains, retenus par je ne sais quelle crainte superstitieuse, hésitèrent si longtemps à franchir étaient couvertes, au Ve siècle avant notre ère, d’une forêt que Tite-Live qualifie de « plus impénétrable et plus effrayante » que les bois de la Germanie. Ces lieux ont perdu, il faut l’avouer, une grande partie de leur horreur, surtout depuis la mort récente du fameux brigand Tiburzi, dont les exploits sont encore dans toutes les mémoires. La chaîne des monts Ciminiens s’abaisse graduellement du côté de la mer. Par une pente longue, douce, presque insensible, les huit cents mètres s’aplanissent au niveau du rivage tyrrhénien. Viterbe est bâtie au milieu de cette déclivité sur un sol inégal, ses alentours sont verdoyans : c’est comme une ceinture de claire émeraude enserrant la ville aux sombres couleurs. Vers la mer, le panorama se prolonge à perte de vue et se mire dans des vapeurs composées de bleu pâle et de rose tendre. Au levant, Monteliascone brille au soleil sur l’éminence qui dérobe à notre vue la nappe unie du lac de Bolsena.