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vâna[1]. » Le héros de Schopenhauer, qui rappelle aussi celui de Hegel, n’a pas encore l’individualisme absolu du Surhomme, mais il en a déjà l’ambition hautaine et le « geste » tragique.

Zarathoustra annonce enfin au peuple, sur la place publique, la venue du vrai Fils de l’homme :

Je vous enseigne le Surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ? Tous les êtres, jusqu’à présent, ont créé quelque chose au-dessus d’eux et vous voulez être le reflux de ce grand flux et plutôt retourner à la bête que de surmonter l’homme ?

Qu’est le singe pour l’homme ? Une dérision et une honte douloureuse. Et c’est ce que doit être l’homme pour le Surhomme ; une dérision ou une honte douloureuse ! Vous avez tracé le chemin du ver jusqu’à l’homme et il vous est resté beaucoup du ver. Autrefois vous étiez singe et maintenant encore l’homme est plus singe qu’aucun singe…

Le surhumain est le sens de la terre. Votre volonté doit dire : que le surhumain soit le sens de la terre !

Jadis on disait Dieu, quand on regardait sur des mers lointaines ; mais maintenant je vous ai appris à dire : Surhomme…

Et comment supporteriez-vous la vie sans cet espoir, vous qui cherchez la connaissance ? Vous ne devriez être invétérés ni dans ce qui est incompréhensible, ni dans ce qui est irraisonnable.

Mais que je vous révèle tout mon cœur, ô mes amis : s’il existait des dieux, comment supporterais-je de ne pas être un dieu ? Donc il n’y a pas de dieux. C’est moi qui ai tiré cette conséquence, cela est vrai, mais maintenant elle me tire moi-même…

J’appelle cela méchant et inhumain, tout cet enseignement de l’unique, du rempli, de l’immobile, du rassasié et de l’immuable.

Goethe avait dit, à la fin du second Faust :

Tout ce qui passe n’est que symbole.

Nietzsche répond :

Tout ce qui est immuable n’est que symbole. Et les poètes mentent trop.

Mais les meilleures paraboles doivent parler du temps et du devenir : elles doivent être une louange et une justification de tout ce qui est périssable !…

La beauté du surhumain m’a visité comme une ombre. Hélas ! mes frères, que m’importent encore les dieux !

Quelque poétique que soit ce lyrisme, peut-il voiler les incohérences de la pensée ? « S’il y avait des dieux, comment supporterais-je de ne pas être un dieu ? » Les chrétiens, que Nietzsche

  1. Brandes, Menschen und Werke. Francfort, 1895, p. 139, traduit par M. Darmesteter.