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celle que le talent de l’actrice aurait le plus contribué à remettre en faveur, si, tandis que l’on n’en compte que 52 représentations de 1801 à 1803, on la voit, de 1831 à 1860, s’élever à 68 pour retomber à 37 de 1871 à 1900. On n’apprendra pas après cela sans un peu d’étonnement que depuis deux cents ans passés Esther n’a pas été jouée plus de 159 fois, ni Bérénice plus de 156. Athalie même, que, dans presque toutes nos histoires de la littérature, on élève un peu systématiquement au-dessus de toutes les autres tragédies de Racine, n’a compté que 457 représentations contre 984 de Phèdre et 853 d’Andromaque. Elle n’est cependant ni moins « scénique, » ni surtout moins favorable à la pompe de la représentation. Mais ici encore l’opinion du spectateur a fait son choix. Les délicats et les curieux continueront de faire d’Esther et de Bérénice une estime toute particulière, mais le spectateur leur préférera de plus en plus Athalie, Mithridate, Bajazet ; et quatre pièces enfin : Andromaque, Britannicus, Iphigénie et Phèdre, seront comme chargées de perpétuer à la scène et, ainsi qu’on disait jadis, « aux chandelles » la gloire du nom de Racine.

Je souhaite que ces courtes observations suffisent pour montrer je ne dis pas au lecteur, mais aux curieux et aux « travailleurs, » le très grand intérêt du livre de M. Joannidès. Je ne me suis servi en effet, pour en tirer la matière de ces quelques pages, que du Tableau qu’il a donné des représentations de Racine, de Corneille et de Molière. Si j’avais maintenant le loisir de tirer du livre lui-même, c’est-à-dire : 1° de la Table alphabétique des pièces ; 2° de la Table alphabétique des auteurs ; et 3° de la Table chronologique des pièces, ce qui s’y trouve contenu de l’enseignemens, on serait étonné, je crois, de leur précision autant que de leur abondance et de leur inattendu. A vrai dire, c’est ici la base de l’histoire du théâtre français classique et moderne de 1680 à 1900. Il ne reste plus qu’à l’écrire, et nous ne savons si M. Joannidès en tentera quelque jour l’entreprise. Nous ne le connaissons pas assez pour oser l’y engager. Son Dictionnaire n’a de qualités que celles d’un excellent Dictionnaire, et il en faudrait assurément d’autres pour écrire une histoire du théâtre français. M. Joannidès peut du moins tenir pour certain que personne désormais ne saurait l’écrire sans le secours de son livre, et c’est déjà quelque chose que d’avoir ainsi rendu son nom comme inséparable de cette histoire.


F. B.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.