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représentations. Les Femmes savantes, ce « chef-d’œuvre, » n’atteignent même qu’à 1 189, soit vingt ou vingt-cinq représentations de moins que l’École des maris, qui en fournit 1 211. Le Malade imaginaire en donne 1 074, qui font deux cents de plus qu’Amphitryon, 867, et quatre cents de plus que Don Juan, lequel n’a fourni que 638 représentations dont 71 en prose, de 1847 à 1900, et 567 en vers, de 1680 à 1847. Il faut donner à ces chiffres toute leur valeur de signification. Les statistiques de M. Joannidès ne partent que de 1680, Molière est mort en 1673 : aucune de ces pièces n’a donc bénéficié de l’attrait de la nouveauté. Pendant de longues années, si la critique a exprimé des préférences marquées, c’est en faveur d’Amphitryon, de l’Ecole des femmes, des Femmes savantes, du Misanthrope. Et, s’il y a des motifs pour que Tartufe ait été joué huit cents fois de plus que le Misanthrope, on n’en voit pas qui expliquent les quatre cents représentations que le Médecin malgré lui a eues de plus que l’École des femmes. C’est bien l’opinion, comme nous le disions, qui fait son choix, ou son tri, si j’ose ainsi parler ; c’est bien elle, dont les convenances ou les exigences, à peine formulées, triomphent ; et dont on pourrait enfin dire que la sélection opère presque automatiquement.

Prenons-en pour exemple le répertoire du grand Corneille : on en a donné, de 1660 à 1900, — le Menteur mis à part, — 4 253 représentations. Et, là-dessus, nous remarquons tout de suite que, de son vivant même, puisqu’il n’est mort qu’en 1684, le répertoire de sa jeunesse a cessé d’exister : Mélite, la Suivante, la Veuve, la Galerie du Palais, la Place Royale, l’Illusion comique. Deux autres pièces : Andromède et la Toison d’or ne tardent pas à suivre ses premières comédies dans l’oubli. On les joue, de 1680 à 1690, la première 45 fois, et la seconde 35 ; et c’est fini. Quelques autres durent plus longtemps : Attila, qu’on joue 2 fois encore de 1691 à 1700 ; Sophonisbe, 2 fois aussi ; Othon, qui reparait, lui, jusqu’à 10 fois dans le même intervalle de temps, et une autre fois, la dernière, de 1701 à 1710 ; Œdipe et Sertorius, dont l’agonie se prolonge jusqu’aux environs de 1730. On jouera encore 10 fois Sertorius, de 1751 à 1760 ; on ne donnera plus jamais Œdipe : l’Œdipe de Voltaire l’a tué, dont on ne croirait jamais, sans M. Joannidès, qu’il y ait eu, de 1778 à 1860, jusqu’à 336 représentations. En pleine période romantique, de 1821 à 1860, la Comédie-Française a joué 70 fois l’Œdipe de Voltaire.

Revenons à Corneille. De 1710 à 1760, son Don Sanche d’Aragon, et sa Mort de Pompée font encore une assez belle défense, et, jusqu’en 1820, Nicomède, Héraclius, Rodogune continuent de figurer au