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population se raréfier. Les soldats ne sont pas sur le point d’y faire défaut : ils y sont même si abondans, chaque année, qu’il a fallu réduire la durée du service militaire dans l’infanterie pour arriver à incorporer la totalité du contingent. Si l’ami du comte de Bulow avait dit au rédacteur du Pester Lloyd que le chancelier se préoccupait surtout du maintien des classes ou des catégories sociales où se recrutent les officiers, sa conversation aurait été plus vraisemblable. Mais nous ne voulons pas entrer dans une analyse détaillée et complète des motifs qui ont déterminé le gouvernement impérial. Les agrariens de Prusse sont une espèce d’institution d’État, et l’une des plus anciennes. Quel que soit le vif intérêt que l’Empereur porte au développement de l’industrie et du commerce, il a une faiblesse pour les agrariens, parce qu’il voit en eux une force indispensable et d’un caractère quasi historique. Partagé entre les traditions anciennes de sa race et de sa dynastie, et les tendances personnelles qui l’entraînent vers les nouveautés du monde présent, il oscille des unes aux autres, moitié féodal et moitié moderne, tourné tantôt du côté du passé, tantôt du côté de l’avenir, et s’efforçant de tout concilier dans sa personne et dans sa politique. Mais il est difficile de concilier deux choses aussi opposées que le développement industriel et commercial d’une part, et de l’autre un régime protectionniste à toute outrance. M. de Bulow est un habile diplomate : nous craignons pourtant qu’il n’ait de la peine à y réussir.

Le premier effet des nouveaux tarifs, lorsqu’ils ont été connus, a été de provoquer une protestation générale au dehors. Il fallait s’y attendre, et M. de Bulow s’y attendait certainement : peut-être même a-t-il voulu donner à cette explosion inévitable le temps de se produire et d’épuiser sa première violence avant de soumettre les tarifs au Conseil fédéral et au Reichstag. En Russie, en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Amérique, en Suisse, partout enfin, on s’est plaint et on a annoncé l’intention d’user de représailles. La Russie avait pris les devans. On n’a pas oublié la note officieuse qui a paru récemment dans un journal, et qui s’exprimait en termes véhémens, menaçans, arrogans, sur les projets que l’on attribuait déjà à la chancellerie impériale. La paternité de cette note a été attribuée à M. de Witte, qui ne l’a pas désavouée. M. de Bulow s’en est expliqué devant le parlement : il a déclaré que, quels que fussent les ménage mens qu’il aurait toujours envers les pays et les gouvernemens amis, il continuerait de placer au-dessus de tout les intérêts de l’Allemagne, et n’en sacrifierait jamais une parcelle à qui que ce fût. On a dit néanmoins, — et en vérité