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Le songeur ailé, l’âpre athlète
Aux bras nerveux ;
Et je traînerai la comète
Par les cheveux.


On se souvenait de maints endroits où Victor Hugo a exprimé cette conception qui lui est particulière : que le poète est un penseur, un songeur, un mage ; qu’il lui appartient d’éclairer les routes de l’humanité, et de faire métier de flambeau. Puis, venant à reconnaître les lueurs qu’a jetées ce flambeau, on s’apercevait sans peine que ces lueurs sont ou très courtes ou singulièrement troubles. Banales et rebattues, les idées philosophiques de Victor Hugo ne sont que prétexte à métaphores souvent magnifiques et à déclamations souvent insupportables. Ce fracas et ce fatras ne nous en imposent pas ; mais le poète en est dupe : il se prend la tête dans ses mains, il se frappe le front, il s’extasie sur la profondeur de ses inventions ; et toute cette mise en scène n’est que pour encadrer un truisme enfantin ou une vision cornue. Bref, on concluait que Hugo a tous les dons voir, sentir, imaginer, conter, hors un, qui est précisément celui qui fait le penseur.

C’est cette opinion que M. Renouvier heurte avec tranquillité. Analysant avec méthode des pièces telles que la Bouche d’Ombre, ou Pleurs dans la Nuit, des poèmes tels que Dieu et la Fin de Satan, ne dédaignant pas même les rouvres de la dernière manière : l’A ne, la Pitié Suprême, Religions et Religion, il étudie la part faite par Victor Hugo au pessimisme, à l’optimisme, au messianisme, au criticisme. Il serait aisé de répondre à M. Renouvier : « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse. Philosophe, vous tirez l’œuvre du poète à la philosophie. Familier avec des doctrines que vous avez approfondies pour votre compte, au moment où vous en apercevez l’ombre chez votre auteur, vous leur prêtez une précision et une signification qu’il n’a pas su leur donner ; et vous en agissez libéralement avec le poète en lui faisant honneur de vos propres lumières. » Mais la réponse, en effet, serait trop aisée. Si M. Renouvier, qui naguère, dans Victor Hugo, le poète, avait exposé avec une pénétration remarquable les procédés de l’imagination poétique de Victor Hugo, a cru devoir compléter comme il l’a fait son étude, et si un penseur dont l’autorité est incontestée a cru devoir accorder son attention à la philosophie du poète, nous devons de notre côté, simples lettrés que nous sommes, tenir de son opinion le plus grand compte.

À vrai dire, il faut commencer par s’entendre sur le sens même qu’on donne au mot philosophie. Si le philosophe est celui qui a des