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REVUE LITTÉRAIRE

VICTOR HUGO ET SES RÉCENS CRITIQUES

A mesure que l’œuvre de Victor Hugo nous apparaît avec plus de recul, nous sommes davantage frappés de ce qu’elle a d’unique, non pas seulement dans ce siècle, mais dans l’histoire de notre littérature. Cela explique l’attitude que prennent vis-à-vis du poète ses plus récens critiques[1]. Le premier devoir de la critique est de comprendre, et le seul moyen qu’on ait pour comprendre, c’est de comparer. Aussi avait-on commencé par comparer Victor Hugo avec ses plus illustres contemporains, les Lamartine, les Vigny, les Musset. La méthode est des plus légitimes, et on continuera de l’appliquer, mais elle est insuffisante, et on s’est aperçu que par certains aspects l’œuvre du poète échappe au rapprochement et n’offre avec celle des écrivains de notre temps aucune commune mesure. Force était donc d’aller chercher des analogies dans d’autres littératures et dans d’autres époques, si lointaines fussent-elles. C’est la voie où s’engage résolument la critique d’aujourd’hui. Elle envisage le génie de celui qui a empli de sa personne et de son nom tout le XIXe siècle comme une sorte de prodigieux anachronisme. Venu dans un siècle de pensée réfléchie, d’analyse, d’histoire, de critique, de science positive, il est de la famille des poètes primitifs. Par le don qu’il a d’enfermer dans des symboles magnifiques des idées morales ou des hypothèses sur la nature des choses, il fait songer aux aèdes créateurs de mythes. Par l’intensité avec laquelle il traduit sa vision de l’invisible, et fait parler

  1. Ch. Renouvier, Victor Hugo, le philosophe, 1 vol. in-18 (A. Colin) ; Eugène Rigal, Victor Hugo poète épique, 1 vol. in-18 (Lecène et Oudin) ; Paul Stapfer, Victor Hugo et la grande poésie satirique en France, 1 vol. in-18 (Ollendorff).