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et de pénétration que personne. Voilà jusqu’à présent tout ce que j’ay pu remarquer. Je vous supplie de dire à Sa Majesté que je ne luy dirai que la vérité, voulant me rendre digne de l’honneur infini qu’Elle m’a fait[1]. »

A travers les lettres de d’Artagnan, on voit la vie tout active et militaire que menait le Duc de Bourgogne. Ce prince auquel, à Versailles, on reprochait de demeurer toujours enfermé dans son cabinet, au camp, passait au contraire tous les jours plusieurs heures à cheval, témoignant ouvertement de l’impatience que lui causaient les lenteurs de Boufflers et l’inaction où il laissait son armée, mais profitant de ces retards pour s’initier à tous les détails du métier, veillant à la sûreté du camp, changeant par exemple les gardes de place, quand elles ne lui paraissaient pas judicieusement disposées, et sachant même, quand les circonstances l’exigeaient, faire preuve d’une fermeté sévère. C’est ainsi que, les habitudes de maraude s’étant répandues, il voulut y mettre un terme. Il fit arrêter un certain nombre de soldats qui étaient hors du camp, et il en fit désigner trois par le sort pour être pendus. Puis, « ayant considéré que c’étaient les premiers criminels qui se présentaient à sa justice, il sacrifia sa colère à sa bonté » et, les laissant aller jusqu’au lieu de leur supplice, il leur envoya leur grâce. Mais, les désordres ayant continué le lendemain, il en fit pendre résolument trois autres[2].

En même temps, rompant avec des habitudes de sauvagerie un peu morose qu’on lui reprochait avec raison, il témoignait une politesse infinie vis-à-vis des officiers de tout grade, marquant qu’il les voyait, et les saluant quand il passait sur le front de leurs troupes. Les officiers généraux, en particulier, étaient charmés des égards qu’il leur témoignait. Ils lui surent gré d’avoir un jour déclaré tout haut, à la suite de quelques difficultés qu’il y avait eu pour les logemens, « qu’il vouloit que le dernier officier général fut logé avant que son cheval fut à couvert. » « Vous pensez, bien, ajoute d’Artagnan, qu’il n’en est ni plus ni moins pour le respect qu’on doit à tout ce qui lui appartient ; mais les honnestetés et les parolles ont un grand charme dans la bouche de nos maistres pour gagner les cœurs[3] ». Il savait plaire également aux soldats, bien qu’au premier

  1. Dépôt de la Guerre, 1553. D’Artagnan à Chamillart, 8 mai 1702.
  2. Ibid., D’Artagnan à Chamillart, 12 mai 1702.
  3. Ibid., D’Artagnan à Chamillart, 3 mai 1702.