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Au travers de sa barbe, Seef ben Saïd contemplait la plaine, moins stérile et désolée que son cœur. Mais rien ne venait le distraire de son cuisant regret. Il regardait, sans voir, l’étendue morne où les oliviers, gris de poudre, croissaient en maigres touffes, parmi les hautes herbes grêles qui répétaient l’image d’un glaive liché, la pointe droite, dans le sol lézardé de crevasses. Au loin, les Alpujarras montaient, échelonnant leurs crêtes déchiquetées et nues, dont les escarpemens abrupts semblaient offrir à l’avidité des gouffres sans fond les villages avec leurs clairs amas de maisons accrochés à leurs flancs. Et le ciel métallique flamboyait sur les roches couleur d’ocre, sur la terre roussâtre, où le chiendent, brûlé par le soleil implacable et rouge, faisait des taches fauves ou cendrées. Tout dormait du lourd sommeil que l’heure de midi impose aux êtres et aux choses. Seuls les gypaètes, tournoyant, élargissaient ou rétrécissaient leurs cercles, ou bien se jouaient, comme pour imiter les feuilles du platane, quand elles sont emportées au gré du vent.

Mais, sans s’arrêter au spectacle de ces grands oiseaux, le vali s’enfonçait dans son ennui. Et, d’heure en heure, il interrogeait le nègre Yakoub, roide dans sa longue tunique bistrée :

— Farfax, le peintre Mohammed n’est-il pas encore arrivé ?

Et le noir porteur d’épée répondait, sans remuer plus qu’une statue de basalte, prise dans une draperie d’onyx, et qui aurait eu des prunelles d’argent :

— Mon père, il n’est pas encore venu.

Mais, à l’instant même où se tut la voix du muezzin qui appelait les croyans à la prière, le nègre tourna sa tête de bronze, coiffée d’un turban de mousseline trente fois repliée. Et, remontant d’un degré, il dit :

— Mon père, voici venir l’homme que tu attends. Il se hâte vers les murs avec sa jument grise. Maintenant, on ouvre la porte pour qu’il puisse entrer. Comment te plaît-il que l’on dispose de lui ?

— Qu’il me soit amené sans retard, — fit le cheick, en laissant retomber sa barbe. — Mais, avant tout autre soin, veille à ce que des rafraîchissemens lui soient donnés. Car la route est longue et pénible sous le soleil, et la terre, en cette saison, est aussi dure à l’homme que le roc échauffé pour la corne des chevaux.