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TROIS CONTES D’ORIENT


« … Sous couleur d’exaucer nos vœux, les Dieux ne font que satisfaire leurs rancunes… »
(OUPANISHAD, 1052.)


I. — LA FIGURE DE CIRE

Lorsque l’El Saïedad Celindaja mourut, emportée par un mal mystérieux, qui tarit en elle les sources de la vie, sans altérer sa beauté en fleur, ce fut un tel deuil, dans le harem du vali Seef ben Saïd, que l’eau des bassins cessa de jaillir en gerbes arquées. Les gazelles familières, couchées sur le flanc à l’ombre des nierions de l’enceinte, refusèrent l’orge et le riz. Et les négresses, dont les pendans d’oreilles sonnaient comme les têtières des mules, s’en retournèrent avec leurs pleines écuelles de faïence peinte. Fatou, la plus vieille de ces femmes, dit alors, en se frappant le front : « Le malheur est dans cette maison ! »

Farouche et misérable, le vieux cheick, doutant de la justice d’Allah, demeura deux jours entiers sur la haute terrasse de sa forteresse. Ne prenant de nourriture que le nécessaire, il ramenait sur son visage dur et morose sa barbe dont les crins épars blanchissaient, privés de henné ; et il ne rompait point le silence. Cependant, dressé au sommet des degrés, le nègre Yakoub Farfax veillait, le bouclier rond sur l’épaule, l’épée pendue devant le sein gauche : et nul ne se risquait à pénétrer dans l’escalier à trois retours, par quoi l’on accédait sur la plate-forme crénelée, où méditait le cheick, perdu dans sa douleur obstinée.