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directement, comme le cap, le choc du flot qui vient du large ; et les terribles coups de bélier ont découpé sa falaise d’une manière invraisemblable. Il n’existe peut-être sur aucune côte du monde de décor à la fois plus grandiose, plus élégant et d’une originalité de lignes plus pittoresque. C’est ce décor merveilleux qui fait depuis un demi-siècle la fortune mondaine d’Étretat. Les parties les plus friables du rempart de craie ont été perforées par les vagues, et leur écume tapisse la paroi verticale de la roche comme une immense draperie d’argent qui s’abaisse et remonte sans cesse. Au pied de l’escarpe, des grottes profondes, presque toutes impraticables, dans lesquelles l’eau s’engouffre et bouillonne avec un bruit de tonnerre. Plus haut, à près de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer, de grandes cavernes accessibles seulement par des sentiers dangereux suspendus au bord de l’abîme. Au-devant, un contrefort gigantesque troué par les lames et dessinant une arcade d’une envolée superbe, la porte d’Orient. Tout autour, découvrant à presque toutes les basses marées, des gouffres insondables, béans comme des gueules de monstres à demi noyés ; et, un peu plus au large, isolé de tous côtés, le plus magnifique obélisque qui se puisse voir, dressant fièrement sa pointe de près de 80 mètres de hauteur, semblable à un repère colossal laissé par des terrassiers géans dans le sol qu’ils auraient excavé pour donner la mesure de leurs prodigieux déblais. La mer qui a disloqué toute cette côte depuis l’origine de notre époque géologique y a laissé ce merveilleux « témoin » de son immense travail. Sur près de 3 kilomètres, ce ne sont que déchirures, escarpemens abrupts, saillies aiguës, fiords profonds, ténébreux, impénétrables. Nulle part la falaise ne présente des lignes plus hardies, un caractère plus imposant, un aspect plus terrible, et presque plus tragique.

Il est sans doute impossible, en l’absence de cartes et de documeus anciens d’une certaine exactitude, de donner une chronologie même approximative du recul de toute cette côte ; mais on voit très clairement que l’œuvre de démolition est géologiquement récente, et que la falaise a été rongée sur une profondeur de plusieurs centaines de mètres, très inégale sans doute et pouvant varier, en des points assez rapprochés les uns des autres, de 150 à 600 mètres. Il est certain, d’ailleurs, que le travail est continu, qu’il s’accentuera dans les siècles à venir, et que le décor changera sans qu’il soit possible de dire à l’avance quelles